Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des titres honorifiques, qu’ils pourront transmettre à leurs enfans et petits-enfans.

« Les bourgeois ont le droit de vivre s’ils ne savent rien, et de mourir de faim lorsqu’ils ont appris quelque chose… En outre, il est accordé à tout homme de cette classe qui sait un métier d’être incorporé au premier recrutement dans un atelier militaire, et de ne plus s’appartenir.

« Conformément à cette sentence de l’Évangile : Rendez à César ce qui est à César, tout laboureur a le droit de payer des impôts au tsar, une redevance à son seigneur, et de donner de l’argent à tous ceux qui en exigeront avec menace. Il lui est accordé en outre le privilège de ne jamais obtenir justice devant les tribunaux, et de ne point oser même se plaindre à Dieu des coups de bâton qu’il reçoit, des abus et des exactions dont il est journellement victime. Après les travaux accablans qu’il est tenu de faire pour son maître, il lui sera permis de travailler pour son propre compte, afin de s’acheter un morceau de pain de seigle et un verre d’eau-de-vie. Enfin la punition la plus sévère qu’on puisse lui appliquer est l’exil en Sibérie, où il devient libre !… »


On ne peut douter maintenant que les deux formes de récit dont nous avons voulu donner une idée ne soient appelées à tenir une grande place dans le mouvement intellectuel de l’empire des tsars. La satire philosophique s’attaque aux principes vicieux de l’ancienne politique russe, tandis que la satire morale fait une intrépide guerre de détail aux mille abus nés de ces principes. Depuis quelques années, cet esprit d’amère critique se retrouve partout, au théâtre, dans la poésie, dans le roman. MM. Ostrovski, Soukovo-Kabiline sur la scène, MM. Pavlof, Tchernichevski dans la critique, sont les dignes auxiliaires de MM. Nekrassof, Hertzen, Pisemski. La passion du jeu, l’ivrognerie, la corruption, tous les vices qui entravent les progrès de la civilisation en Russie trouvent en eux d’impitoyables censeurs. Aux éloges que méritent les satiriques russes, nous n’ajouterons en finissant qu’une seule réserve. Ce n’est pas assez de combattre les abus qui pèsent sur un pays, quand on ne lui montre pas les élémens de progrès qu’il possède. Or un élément essentiel de progrès pour la Russie, c’est l’aptitude de l’esprit slave à comprendre et à s’approprier ce qu’il rencontre de vital ou de bienfaisant dans les mœurs et les institutions étrangères. Pourquoi donc les satiriques de l’une et l’autre école s’entendent-ils dans un sentiment commun de défiance vis-à-vis des sociétés occidentales ? Il est bien d’exalter l’esprit national ; mais l’encourager à une stérile haine de l’étranger, ce serait le conduire à une incurable impuissance.


H. DELAVEAU.