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Quel spectacle s’offre à Kalinovitch ! Toutes les apparences de l’ordre déguisant mal toutes les variétés de la fraude, du vice ou de l’incapacité : ici des concussionnaires, plus loin de faux savans, partout d’audacieux aventuriers qui apportent dans l’administration cet esprit nomade, une des forces et des faiblesses de la race slave, et qui profitent de l’insuffisance des institutions pour passer avec une incroyable aisance d’une fonction à l’autre, parcourant ainsi en peu d’années le camp beaucoup trop vaste de l’armée administrative en Russie. Le nouveau vice-gouverneur ne promène pas seulement sur ces groupes serviles le regard dédaigneux du parvenu qui se croit sûr de sa fortune : il est résolu à les combattre ouvertement ; le présomptueux élève de Moscou, mécontent à bon droit de sa première campagne contre un collège de petite ville, va s’attaquer à un gouvernement de province.

Le gouverneur le comble de politesses, et lui expose ses principes d’administration. Ces principes sont fort simples : les bureaux qui dépendent du gouvernement forment autant de corps distincts qui se jalousent, et, pour ne point s’y faire d’ennemis, le gouverneur ne s’immisce en aucune façon dans leurs attributions. Au reste tous les employés sont excellens, et l’ordre le plus parfait règne dans toute l’administration. Kalinovitch ne partage point cette manière de voir ; il commence par établir dans tous les bureaux qui sont sous sa dépendance immédiate un ordre tel que toute exaction y devient impossible. Cela fait, il demande à son chef de destituer les fonctionnaires auxquels celui-ci tient le plus. Le gouverneur essaie vainement de prendre leur défense ; Kalinovitch le prévient que si droit n’est point fait à sa demande, il s’adressera au ministre. L’indulgence que manifestait le gouverneur n’était point, il faut le dire, tout à fait excusable : il avait une part dans les exactions que commettaient ses subordonnés, ainsi que cela se pratique ordinairement. Les sévérités de Kalinovitch font du bruit dans la ville ; on s’indigne contre le vice-gouverneur. Il se forme néanmoins un parti qui le soutient. Kalinovitch a pour lui la jeune génération, toujours portée à faire de l’opposition, à déclamer contre la corruption administrative, et cela non sans raison le plus souvent.

Kalinovitch, ne l’oublions pas cependant, est regardé par le prince Raminsky comme sa créature. C’est le prince qui a fait réussir son mariage avec Pauline, ce mariage auquel Kalinovitch doit sa position. Le but du prince n’a pas été seulement de soustraire Pauline à la tutelle d’une mère avare, de se créer une influence sur la gestion de ses biens ; il a voulu se ménager dans la haute administration de l’empire un utile instrument, et il a cru le trouver dans Kalinovitch. Ce prince, ambitieux et remuant personnage, type de l’esprit de spéculation et d’aventure qui anime certains nobles russes,