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les complimens des professeurs ses subordonnés, tous types de ces excentricités qu’un cercle étroit d’occupations développe dans certaines existences. Ici, c’est M. Exametrof, qui aime un peu trop à s’enivrer le jour où il touche ses appointemens ; là, M. Lebedof, grand chasseur qui a tué plus de trente ours de sa propre main ; plus loin, M. Romiantsof, dont la tenue irréprochable ne rachète pas le caractère bas et rampant. Ce n’est pas tout cependant que de s’installer au collège ; il faut se présenter aux autorités du lieu. L’excellent M. Godnef met son équipage à la disposition du jeune directeur. Qu’on imagine un drochki à roues colossales traîné par une rosse à la tête énorme, aux grosses jambes recouvertes d’un poil épais, et conduit par le gardien du collège affublé pour la circonstance d’un armiak[1] de paysan. La première visite est pour le gorodnitche (maire) ; mais le magistrat est inabordable, il prétend recevoir ses visiteurs au bureau de police, et Kalinovitch se voit forcé de se retirer en lui laissant sa carte. Une autre notabilité à laquelle le directeur doit présenter ses hommages est la veuve d’un général qui compte parmi les grands propriétaires de la province. Ici la réception n’est guère meilleure, mais on rencontre déjà quelques-uns des personnages qui joueront un rôle principal dans le roman : la générale d’abord, arrogante et froide ; sa fille Pauline, non moins hautaine, mais spirituelle et gracieuse. Lorsque Kalinovitch, interrogé sur le motif de sa visite, se présente comme le nouveau directeur du collège, il peut lire une expression de dédain sur le front de la noble dame, qui s’entretient aussitôt avec sa fille d’affaires intimes, sur lesquelles il est impossible au visiteur de placer un mot. Kalinovitch comprend qu’il est importun et se retire. Faut-il le suivre chez les autres représentans de l’administration et de la noblesse dans la ville, chez le directeur des domaines, toujours en guerre avec l’ispravnik à cause de ses excursions intéressées sur les terres de la couronne, — chez l’avoué, toujours à la piste de la moindre chicane dont il espère tirer quelque profit, — chez le médecin du district, qui, au sujet de l’emploi des sommes affectées au service de l’hôpital, est également devenu l’ennemi du maire ? Chez les marchands, mêmes inimitiés, mêmes jalousies que chez les fonctionnaires. Qu’arrive-t-il ? Le nouveau directeur est bientôt convaincu qu’il ne pourra vivre à l’aise dans ce monde vulgaire, et c’est dans la maison de M. Godnef qu’il passera ses heures de loisir. Ici l’on entrevoit le point de départ du roman. L’ambition et la légèreté de Kalinovitch feront deux victimes : la fille de M. Godnef d’abord, la fille de la générale ensuite.

  1. Long vêtement en forme de tunique.