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Mikaïlovitch Godnef, est mis à la retraite, et l’arrêté ministériel désigne à sa place un jeune élève de l’université de Moscou, qui donne les plus belles espérances. Cette nouvelle est reçue avec un chagrin mêlé de résignation par trois personnes que le romancier présente tout de suite au lecteur : le vieux directeur lui-même, sa fille Nastineka, et le frère de M. Godnef, capitaine en retraite. Le plus résigné des trois est précisément M. Godnef, véritable Russe de l’ancienne école, un peu railleur, mais sans méchanceté, fidèle aux mœurs patriarcales, qui deviennent de plus en plus rares dans la classe lettrée du pays. Pourquoi se plaindrait-il après tout ? Veuf depuis quelques années, il peut encore vivre dans une certaine aisance, et sa fille unique sera là pour égayer ses vieux jours. Nastineka est douée d’un extérieur agréable, et de plus, pour son malheur, d’une vive imagination. Rien de commun entre elle et ces jeunes provinciales dont l’auteur trace le portrait en quelques lignes légèrement moqueuses, dirigées contre les instincts positifs et prosaïques de la génération nouvelle. Au lieu de ces jeunes personnes qui autrefois pleuraient en lisant Marlinsky et Pouchkine, on ne rencontre plus en effet que des maîtresses de maison formées avant le mariage, déjà exercées à calculer les avantages d’un bon parti, plus familiarisées certainement avec de vulgaires romans français qu’avec la poésie russe. Telle n’est point Nastineka Godnef. Elle est restée vraiment russe ; les livres français qu’elle a lus, productions éloquentes et passionnées des premières années qui suivirent 1830, n’ont fait que développer son penchant à l’enthousiasme, et la préparer peut-être à de grandes souffrances. Quant au capitaine en retraite Phleguetone Mikhaïlovitch, il vit paisiblement d’une pension de cent roubles dans un petit logement voisin de la maison du vieux professeur. C’est un homme taciturne et grave ; après son frère et sa nièce, sa chienne Diana tient la première place dans ses affections ; après Diana viennent les oiseaux, qu’il élève par centaines, se créant ainsi d’innocentes occupations auxquelles il ne s’arrache que pour venir passer quelques heures chez son frère. On le voit alors traverser la rue, serré dans un vieil uniforme de petite tenue, fumant dans une pipe de bois un tabac commun qu’il porte dans un sac de cuir brodé par sa nièce. Voilà le groupe en présence duquel va se trouver le nouveau directeur du collège, M. Jacques Kalinovitch, sortant de l’université de Moscou, jeune homme intelligent et instruit, mais sans naissance et sans fortune, bien décidé par conséquent à tirer le meilleur parti possible de la place obscure qu’il vient occuper.

Kalinovitch est reçu par le vieux directeur avec une hospitalité cordiale ; il s’installe au collège et accueille avec une dignité froide