Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des gardes de la Forêt-Noire, la grande casaque de drap gris, à paremens et à collet droit de couleur verte ; son chapeau de feutre, également vert, orné d’un large ruban de soie et d’une cocarde en plumes de coq de bruyère, reposait à ses pieds, chaussés de grandes bottes en cuir noir qui montaient jusqu’au milieu des cuisses. À portée de sa main, appuyée contre la cloison, on voyait cette hachette à long manche avec laquelle les forestiers allemands entaillent les arbres propres à être abattus. Quand par hasard le garde relevait la tête, on apercevait un visage maigre, austère, auquel le sourire semblait étranger, et dont les yeux noirs, profondément enchâssés sous des sourcils touffus et mobiles, rappelaient, par leur éclat et leur vivacité, ceux des oiseaux de proie. Ce visage cependant n’effrayait pas ; malgré la rigidité des traits et le feu du regard, on y lisait la franchise, la droiture et la bonté, unies à l’expression d’une énergie sans égale. Après l’avoir examiné un instant, on ne pouvait s’empêcher de jeter les yeux sur le portrait à la mine de plomb suspendu au mur. Entre le vieillard que représentait ce portrait et l’homme qui lavait son fusil, il y avait une analogie qui saisissait tout d’abord. En face du père de famille, une femme âgée, vêtue de noir, filait lentement. De temps en temps, elle regardait le petit garçon qui dessinait et lui souriait à la dérobée. Au premier coup d’œil jeté dans cette vaste pièce et sur les personnes qui l’habitaient, il était facile de reconnaître qu’on avait mis le pied dans l’intérieur austère d’une famille protestante.

Après qu’il eut achevé de fourbir son arme de prédilection et rajusté le canon dans le bois de la crosse, Jacob Royal mit à sa place, dans le râtelier, le fusil oint légèrement d’une dernière couche d’huile, se rapprocha de la table, prit un gros livre à fermoirs d’argent, et, tirant un escabeau, s’assit dans le voisinage de la lampe à deux branches. — Celui qui n’a pas soin de son arme, dit-il, est semblable à un homme qui ne donnerait à son serviteur ni le pain ni le sel ; quand vient le jour de la mauvaise fortune, le serviteur abandonne la maison, et l’homme périt.

Personne ne répondit ; le petit dessinateur suspendit un instant la marche de son crayon, la plume du jeune chasseur cria sur le papier, et Jacob, ayant ouvert son grand livre, lut silencieusement, ses deux mains étendues sur la table. Le chasseur ne regarda plus la jeune fille. Le silence, déjà profond, devint plus profond encore.

Bientôt après le coucou chanta dix fois. Jacob ferma son livre. — L’heure du repos est venue, dit-il ; la nuit a été donnée à l’homme pour qu’il fût délassé de ses fatigues ; retirez-vous, mes enfans. Toi, Salomé, va voir dans la cuisine, à l’étable et dans l’écurie, si tout’ est en ordre et si les animaux ne manquent de rien. Le Seigneur nous les a donnés, mais il faut être bon pour eux.