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Deux mois après la rentrée des troupes d’Italie à Paris, le village de Gigean était en liesse. On y célébrait le mariage des fiancés de la Gardiole, Brunélou et la Frigoulette. Malgré sa blessure, qui laissait à son front une large cicatrice, le marié avait fort bon air avec sa veste ronde et son gilet à fleurs, tandis que la blancheur du chapelet (coiffure de fleurs d’oranger) semblait donner un nouvel éclat au teint vermeil de la nobia (mariée). Pour laisser aux mos le temps de préparer le repas, la noce tout entière, selon l’usage, se promena au sortir de l’église sur le chemin de Montbazin. Le joyeux hautbois l’accompagna de ses accents champêtres, et des nuées de dragées, dont le plâtre est la matière principale, furent lancées par les invités aux enfans du village. Un joyeux repas réunit ensuite dans la petite maison de la garrigue tous les amis des mariés, parmi lesquels la Cabride et le nanet ne furent pas oubliés. La poêle chantait sur les sarmens, les missous mijotaient dans les toupis (pots), des rôtis de toute sorte flambaient à la broche. La pauvreté de la terraille (vaisselle) étalée sur la table contrastait avec la magnificence du menu. Une coutume locale expliquait cet excès de simplicité : pour rappeler aux nouveaux époux que ce qui appartient au passé, l’insouciance, la jeunesse et le plaisir, est à jamais brisé dans leur vie, les invités, joignant l’action au précepte, cassent, le soir des noces, toute la terraille de la maison. C’est au dessert, au moment où les dragées pleuvent sur les assiettes, où le vin capiteux du pays a exalté les têtes et délié les langues, que la terraille, à grand bruit, se brise en mille éclats. Vers la fin du jour, un vrai tumulte se fit donc entendre dans la maisonnette, et comme un feu de joie, une vive lumière s’échappa du balcon ; mais la croisée se ferma bientôt, et le silence et l’obscurité ne tardèrent pas à envelopper la petite demeure.

À peine le toit de briques se dorait-il, le lendemain, des premiers rayons du soleil, que la fenêtre se rouvrit. Déjà vêtue de la jupe de toile et du chapeau de feutre, la Frigoulette y apparut préparant le récate de la journée, pendant que devant la porte Brunélou harnachait un bel âne qui avait remplacé le vieux roussin. Les nouveaux époux partirent joyeusement pour la garrigue. — Voilà des nobis qui ne languiront pas ensemble ! dirent les paysans en les voyant passer.


Mme Louis FIGUIER.