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coïncidait avec la fin de l’orage. La Frigoulette se laissa un moment aller au sommeil. Réveillée en sursaut par les premières clartés du jour, elle se demanda si l’orage, l’agonie de l’estarloga et son dernier vœu, tout cela n’était pas un rêve ; mais, éclairé par un rayon du soleil levant, le cadavre jaune et ridé de Pitance, serrant dans ses mains crispées la capote militaire dont les larges pans l’entouraient d’un gris linceul, la ramena bientôt à la réalité. En même temps les prières que la vieille ensevelisseuse récitait d’une voix cassée, en aspergeant le mort d’eau bénite, semblaient lui dire qu’elle était une seconde fois orpheline.

Pitance fut enterré dans le cloître de Saint-Félix, et, tout le village suivit son convoi. On rendit à la mémoire du soldat les honneurs militaires. L’uniforme du vieux sergent fut placé sur sa bière ; le tambourin de la commune essaya quelques roulemens lugubres, et le garde champêtre tira d’un vieux fusil quelques mousquetades ; puis la Frigoulette se retrouva seule dans la sombre retraite où s’était écoulée sa jeunesse. Cette solitude l’effrayait. Elle résolut de ne pas différer son départ. La maisonnette du bas de la colline semblait l’appeler : c’était là qu’elle s’était promis de vivre avec Brunel, c’est là qu’elle transporta les meubles du triforium. Un vêtement de couleur sombre remplaça son pet-en-l’air de toile, et pour porter un vrai deuil d’orpheline, elle cacha ses beaux cheveux sous deux coiffes, l’une blanche, l’autre noire, le tout surmonté d’un fichu noir noué en fanchon. Ainsi coiffée et serrée dans un petit châle noir dont les bouts étaient renfermés dans un long tablier, la Frigoulette avait tout l’air d’une religieuse.

Les préparatifs du long voyage qu’elle avait résolu d’accomplir avaient été terminés en quelques jours ; mais comment se rendre en Italie quand ses dernières ressources venaient d’être épuisées par la maladie de Pitance ? Dans cette perplexité, la jeune fille se souvint de la Cabride, et quelques heures après elle était à Cette, sur la tartane de la gitana. La Cabride surveillait deux enfans qui s’ébattaient joyeusement sur le pont. Le nanet contemplait ce groupe d’un air hébété. La Cabride fit un très bon accueil à la Frigoulette. — Ton fringaire a été rappelé, lui dit-elle ; je te plains, car tu n’as pas d’enfans pour égayer ta demeure. Cigalou a été redemandé de son côté, et il est devant Venise avec la flotte ; mais, tu le vois, je n’ai guère le temps de m’ennuyer.

La garrigaire apprit à la gitana la mort de Pitance, et lui témoigna son désir d’accomplir la dernière volonté du sergent. — Aurais-tu le courage de faire la traversée sur ma vieille tartane ? reprit la gitana ; je te donnerais le nanet pour pilote. Il te conduirait à Gênes. Il connaît ce trajet, car il l’a fait assez souvent dans