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garrigues s’abandonnait à de bruyantes manifestations de joie. Les collines s’illuminaient comme les vallées. — Pécaire ! se disait la Frigoulette, plus triste encore au milieu de la joie commune. Brunélou était là peut-être ! Brunélou vit-il encore ? — Pitance essayait vainement de la rassurer. Bientôt malheureusement ces consolations mêmes, si stériles qu’elles fussent, manquèrent à la jeune fille. Le vieillard fut atteint par une de ces fièvres intermittentes qui sévissent dans le pays dès le retour du printemps. Grelottant au soleil, Pitance n’eut plus la force de descendre au village, et la jeune fille n’osa plus le quitter. La chaleur commençait à devenir excessive, et comme il n’arrive que trop souvent dans les étés brûlans du midi, les accès de fièvre de Pitance prirent rapidement un caractère grave. Mandé en grande hâte, le médecin arriva comme le malade entrait dans le second accès de sa fièvre maligne. Il le trouva très dangereusement atteint et crut devoir avertir l’orpheline que si la résine de quina n’empêchait pas le retour de la fièvre, le vieillard succomberait peut-être au troisième accès. Hélas ! la cruelle fièvre reparut le lendemain avec une intensité nouvelle, et la Frigoulette dut prier une garrigaire qui travaillait aux environs d’aller chercher le capélan. Les tristes cérémonies qui précèdent la mort s’accomplirent. Après le capélan vint une vieille mos qui cumulait au village les fonctions de garde-malade, de pleureuse et d’ensevelisseuse ; mais l’estarloga ayant fait comprendre, dans un moment de lucidité, qu’il voulait rester seul avec la Frigoulette ; la mos prit son chapelet et alla dire dans un angle du triforium les prières des agonisans. La nuit était venue, et des coups de tonnerre de plus en plus rapprochés annonçaient un violent orage. Le vieux soldat se leva sur son séant et se fit apporter la carte d’Italie. L’ébranlement causé par la tempête avait déterminé chez le moribond une crise suprême, où son intelligence avait retrouvé toute sa lucidité. Il voulut une dernière fois expliquer à la Frigoulette la position des armées ennemies. — Je te montre tout cela, lui dit-il, car ta place n’est plus à Saint-Félix. Le bon Dieu semble me rappeler à lui pour te laisser la liberté. Que ferais-tu ici de ta jeunesse et de ta force ? Pendant que les hommes marchent et se battent, ne se trouvera-t-il pas des femmes pour panser leurs blessures, soutenir leur courage et consoler leurs derniers momens ? Pars pour l’Italie ; va rejoindre Brunel. Je te connais assez pour être sûr que tu feras ton devoir…

Le baiser de l’orpheline et la promesse qu’elle fit de se rendre en Italie furent les dernières choses d’ici-bas dont le vieillard eut la conscience. Il parla longtemps encore, et avec une véhémence extraordinaire ; mais des paroles incohérentes tombèrent seules de ses lèvres. À cette agitation convulsive succéda une sorte d’affaissement qui