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une théodicée, développement de celle que l’auteur avait déjà esquissée dans le troisième volume de son École d’Alexandrie, et que je regarde comme la plus originale que notre pays ait produite en notre siècle. Elle peut se résumer en cette phrase : Dieu est l’idée du monde, et le monde la réalité de Dieu. « S’obstiner à réunir sur un même sujet la perfection et la réalité, c’est se condamner aux contradictions les plus palpables. Il suffit de lire saint Augustin, Malebranche, Fénelon, Leibnitz, pour s’en convaincre. La critique de Kant, si forte qu’elle soit, est peut-être moins décisive que le spectacle de telles subtilités. Un Dieu parfait ou un Dieu réel : il faut que la théologie choisisse. Le Dieu parfait n’est qu’un idéal ; mais c’est encore, comme tel, le plus digne objet de la théologie, car qui dit idéal dit la plus haute et la plus pure vérité. Quant au Dieu réel, il vit, il se développe dans l’immensité de l’espace et dans l’éternité du temps ; il nous apparaît sous la variété infinie des formes qui le manifestent : c’est le cosmos. Avec ses imperfections et ses lacunes, c’est encore un Dieu bien grand et bien beau pour qui le comprend, le voit et le contemple des yeux de la science et de la philosophie. Le panthéisme s’en contente ; mais c’est la gloire de la pensée humaine de remonter plus haut… Pour nous, le monde, n’étant pas moins que l’être en soi lui-même, dans la série de ses manifestations à travers l’espace et le temps, possède l’infinité, la nécessité, l’indépendance, l’universalité et tous les attributs métaphysiques que les théologiens réservent, exclusivement à Dieu. Il est clair dès lors qu’il se suffit à lui-même quant à son existence, à son mouvement, à son organisation et à sa conservation, et n’a nul besoin d’un principe hypercosmique. Or, du moment que Dieu n’est plus conçu comme la substance ou la cause du monde, il n’y a plus d’absurdité à le ramener à n’être plus que le suprême idéal de la vie universelle. C’est même, à notre sens, la seule conception qui sauve la théologie des deux écueils contre lesquels elle va heurter tour à tour : la doctrine de la création ex nihilo et le panthéisme. »

Voilà des formules très ingénieuses et très riches de vérité. La contradiction qu’implique toute théodicée, et qu’elle implique nécessairement, puisque son objet est de définir l’infini, n’a jamais été mieux prévenue ; mais il faut voir si de telles formules ont à un assez haut degré le caractère de résultats scientifiques et acquis pour constituer une métaphysique positive. — Et d’abord n’accordons que le dédain aux vaines accusations d’athéisme que les esprits étroits ont toujours élevées contre les hommes les plus religieux, parce que ceux-ci ont craint de déroger à la majesté divine en la limitant par une formule quelconque. Refuser de déterminer Dieu n’est pas le nier ; cette réserve est bien plutôt l’effet d’une profonde piété, qui tremble de blasphé