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pour lui inspirer le respect de lui-même et lui faire défier le sourire de ceux qui pensent que la vertu est toujours une jactance ou une duperie.

Certes, si ceux qui nous blâment de n’être que les secrétaires de l’esprit humain nous apportaient la vérité complète avec ses signes évidens, nous n’aurions qu’à tomber à genoux et à rejeter sur le second plan nos humbles recherches ; mais une longue expérience nous a appris que la raison seule ne crée pas la vérité. Malebranche prêchant à l’homme de rester renfermé en lui-même pour y chercher le verbe, qui lui enseignera toute chose, ne serait plus écouté. L’homme obstinément renfermé en lui-même n’y trouvera que le rêve. Si, au lieu de dédaigner l’histoire de l’esprit humain, pomme le tableau futile de tout ce que les autres ont pensé, l’orgueilleux oratorien eût bien voulu regarder le monde et l’humanité, combien son horizon se fût élargi ! de combien de préjugés se fût-il dégagé ! Il eût vu les méandres infinis de la légende et de l’histoire ; il eût vu la trame sans fin des créations divines, et si à ce spectacle il eût perdu sa foi étroite, il y eût gagné le sens de la vraie théologie, qui est la science du monde et de l’humanité, la science de l’universel devenir, aboutissant comme culte à la poésie et à l’art, et par-dessus tout à la morale. Étudiez donc, disons-nous à ceux qu’anime encore la noble curiosité, étudiez en philosophes la chimie, la physiologie et l’histoire. Disséquez toute vie, analysez toute substance, apprenez toute langue, comparez toute littérature ; que chaque mot du passé nous livre tout ce qu’il recèle, que chaque coin du sol nous rende les débris qu’il contient. Fouillez la vieille Phénicie : on ne sait pas ce que cache cette terre ; interrogez en géologues les plateaux de l’Asie que l’homme habita d’abord ; fouillez Suse, fouillez l’Yémen, fouillez Babylone. Qu’est-ce qu’Éden ? qu’est-ce que Saba ? qu’est-ce qu’Ophir ? Apprenez-moi si, après tant d’humanités écroulées, la nôtre croulera à son tour, si les sages peuvent espérer de la diriger un peu, ou bien si c’est une loi fatale d’expier le raffinement par la faiblesse. Dites-moi les secrets de la naissance et de la mort, les secrets de la pierre et du métal, les secrets de la cellule dernière où naît la vie. Qui sait si l’infini réel est aussi vaste qu’on le suppose ? Et la grande loi qui nous donnera le pouvoir sur l’atome (quand nous l’aurons, remarquez-le, nous serons maîtres du monde), qui sait si elle nous échappera toujours ?


III

Il serait injuste de dire que M. Vacherot s’est contenté de prêcher les avantages et les droits de la métaphysique : son livre renferme