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pierre posée dans l’édifice, est en un sens éternelle dans ses résultats. On pourra négliger le nom de l’auteur, elle-même pourra tomber dans l’oubli ; mais les résultats qu’elle a contribué à établir demeurent. Les historiens du XVIIe et du XVIIIe siècle qui ont prétendu écrire et se faire lire, Mézerai, Daniel, Velly, sont maintenant parfaitement délaissés. Les travaux des bénédictins, qui n’ont prétendu que recueillir des matériaux, sont aujourd’hui, bien que susceptibles d’être fort améliorés, aussi neufs que le jour où ils parurent.

Le peu de résultats qu’auront amenés certaines branches des études philologiques ne saurait même devenir une objection contre ces études. La science en effet se présente toujours à l’homme ainsi qu’une terre inconnue. Les premiers navigateurs qui découvrirent l’Amérique étaient bien loin de soupçonner les formes exactes et les relations véritables des parties de ce nouveau monde. L’attraction du succin n’était aux yeux des anciens physiciens qu’un phénomène curieux, jusqu’au jour où, sur ce fait isolé, vint s’élever une science. Il ne faut pas demander aux investigations scientifiques l’ordre rigoureux de la logique, pas plus qu’on ne peut demander d’avance au voyageur le plan de ses découvertes, ni à celui qui creuse une mine le compte des richesses qui en sortiront. La science est un édifice séculaire, qui ne pourra s’élever que par l’accumulation de masses gigantesques. Une vie laborieuse ne sera qu’une pierre obscure et sans nom dans ces constructions immenses. N’importe : on aura sa place dans le temple, on aura contribué à la solidité de ses assises. Sur les monumens de Persépolis, on voit les différentes nations tributaires du roi de Perse représentées par un personnage qui porte le costume de son pays et tient entre les mains les productions de sa province pour en faire hommage au souverain. Telle est l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé et expressif, et qui demeuré pour représenter les millions d’hommes à jamais oubliés qui ont vécu et qui sont morts groupés autour d’elle. La science, comme toutes les autres faces de l’œuvre humaine, doit être esquissée de cette large manière. Il ne faut pas que les résultats scientifiques soient maigrement et isolément atteints ; il faut que le résultat final qui restera dans le domaine de l’esprit humain soit, extrait d’un vaste amas de vérités particulières. De même qu’aucun homme n’est inutile dans l’humanité, de même aucun travailleur n’est inutile dans le champ de la science. De ce qu’on enlève l’échafaudage quand l’édifice est terminé, s’ensuit-il que ceux qui l’ont construit n’ont travaillé qu’à une œuvre frivole et sans durée ?