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de passe-temps agréable. On comprend le physicien et le chimiste, on comprend l’artiste et le poète ; mais l’érudit n’est aux yeux du vulgaire, et même de bien des esprits délicats, qu’un meuble inutile, quelque chose d’analogue à ces vieux abbés lettrés qui faisaient partie de l’ameublement d’un château, au même titre que la bibliothèque. On se figure volontiers que c’est parce qu’il ne peut pas produire qu’il recherche et commente les œuvres d’autrui. Le vague qui plane sur l’objet de ses études, cette latitude presque indéfinie qui renferme sous le même nom des recherches si diverses, font croire volontiers qu’il n’est qu’un amateur qui se promène dans la variété de ses travaux, et fait des explorations dans le passé, à peu près comme certains animaux fouisseurs creusent des souterrains pour le plaisir d’en faire.

Il y a là une très grande méprise entretenue et par la distraction du public, et aussi, il faut le dire, par la faute des érudits, qui trop souvent ne voient dans leurs travaux que l’aliment d’une curiosité assez frivole. Certes il ne faut pas médire de la curiosité. Elle est un élément essentiel de l’organisation humaine et la moitié de la volupté de la vie. Le curieux et l’amateur peuvent rendre à la science d’éminens services, mais ils ne sont ni le savant ni le philosophe. La science n’a réellement qu’un seul objet digne d’elle : c’est de résoudre l’énigme des choses, c’est de dire à l’homme le mot de l’univers et de sa propre destinée. Entre tous les phénomènes livrés à notre étude, l’existence et le développement de l’humanité sont le plus extraordinaire. Or comment connaître l’humanité, si ce n’est par les procédés mêmes qui nous servent à connaître la nature, je veux dire en recherchant les traces qui sont restées de ses révolutions successives ? L’histoire n’est possible que par l’étude immédiate des monumens, et ces monumens ne sont pas abordables sans les recherches spéciales du philologue ou de l’antiquaire. Toute forme du passé suffit à elle seule pour remplir une laborieuse existence. Une langue ancienne et souvent à moitié inconnue, une paléographie spéciale, une archéologie et une histoire péniblement déchiffrées, voilà plus qu’il n’en faut pour absorber tous les efforts de l’investigateur le plus patient, si d’humbles artisans n’ont consacré de longs travaux à extraire de la carrière et à réunir les matériaux avec lesquels il doit reconstruire l’édifice du passé. La révolution littéraire qui depuis 1820 a changé la face des études historiques, ou, pour mieux dire, qui a fondé l’histoire parmi nous, aurait-elle été possible sans les grandes collections du XVIIe et du XVIIIe siècle ? Mabillon, Muratori, Baluze, Ducange, n’étaient ni de grands philosophes ni de grands écrivains, et pourtant ils ont plus fait pour la vraie philosophie que tant d’esprits systématiques qui ont voulu construire