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droit d’être. Par là il se plaça entre ceux dont le jugement compte pour un jugement d’homme, qui veulent être autre chose qu’un airain sonnant, et n’entendent pas, pour les commodités de la vie, perdre les motifs de vivre : propter vilam vivendi perdere causas.

Dans la première période de son activité philosophique, M. Vacherot paraît comme un disciple de cette philosophie qu’on est convenu de rattacher à M. Cousin, quoiqu’elle soit bien loin de représenter toute l’étendue de cet admirable esprit. Tout ce qui est fécond est riche de guerres, et c’est la gloire de M. Cousin d’avoir su contenir dans son sein des élémens très divers et destinés à se séparer. Dogmatique par un côté, critique par un autre, cet homme éminent, qui grandira chaque jour à la condition qu’on place sa gloire où elle est en réalité, non dans la création d’une philosophie d’école, mais dans l’éveil des esprits auquel il a présidé, servit de point de départ à deux directions fort différentes, l’une de haute histoire de l’esprit humain, l’autre d’organisation pratique de la philosophie. La première, qui était la plus élevée, ne pouvait être faite pour des disciples. La grande pensée qui domina les cours de 1828 et 1829 n’était pas de nature à servir de fondement à une école officielle. Il fallait pour ce dernier but une sorte de catéchisme capable de contenir les uns, de rassurer les autres ; mais de telles limites, nécessaires pour les esprits timides, devaient sembler trop étroites aux esprits actifs. De là des déchiremens inévitables, qui ont séparé du maître ceux de ses disciples qui, en violant une moitié de son programme, en réalisaient peut-être le mieux la plus sérieuse moitié.

Si j’étais né pour être chef d’école, j’aurais eu un travers singulier : je n’aurais aimé que ceux de mes disciples qui se seraient détachés de moi. Parfois, on est tenté de croire que, malgré certaines rudesses obligées, M. Cousin doit aussi avoir un faible pour les disciples rebelles qui représentent le mieux le côté le plus important de sa grande entreprise. Ce qu’il y a de certain, c’est que sa vraie gloire est bien moins d’avoir créé une orthodoxie philosophique que d’avoir soulevé un mouvement par suite duquel plusieurs des bases qu’il avait posées seront peut-être ébranlées. Ceux de ses disciples auxquels il a appris à chercher sont ceux qui lui rendent le meilleur hommage, à une condition, bien entendu, c’est qu’ils n’oublient pas ce qu’ils doivent à leur maître, car il est permis d’être infidèle, jamais d’être ingrat. Une école quelque peu active ne saurait borner sa mission à refaire éternellement le même livre sur la spiritualité de l’âme et l’existence de Dieu. Ce sont là ou des choses si claires qu’elles n’ont pas besoin d’être démontrées, ou, quand on les prend par l’analyse, des choses si obscures qu’elles ne sont pas dé-