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car les seules pensées fécondes sont celles qui éclosent et qui n’ont pas encore atteint ce degré de précision après lequel il n’y a plus que la sèche exposition de l’école et le formalisme de l’enseignement traditionnel.

Ce qui peut faire croire en effet que cette extinction de la métaphysique n’est pas une simple déchéance transitoire, comme il y en a dans l’histoire de toutes les sciences, c’est que d’autres études semblent hériter d’elle et se partager ses dépouilles. Les études religieuses, que la philosophie proprement dite traite toujours avec quelque dédain, parce qu’elle n’en voit pas la portée, ont repris depuis dix ans un intérêt auquel on ne pouvait s’attendre. Les sciences positives, d’un autre côté, ont conquis beaucoup d’esprits qu’à d’autres époques la philosophie abstraite eût vraisemblablement attirés. Les vrais philosophes se sont faits philologues, chimistes, physiologistes ; on a cessé de regarder l’âme individuelle comme un objet direct de science positive. On a vu que la vie a son point de départ dans la force et le mouvement, et sa dernière résultante dans l’humanité. Au lieu de se renfermer dans le monde étroit de la psychologie, on a rayonné au-dessus et au-dessous ; au lieu de disséquer l’âme en facultés, on a cherché les racines par lesquelles elle plonge en terre, les rameaux par lesquels elle touche au ciel. On a compris que l’humanité n’est pas une chose aussi simple qu’on le croyait d’abord, qu’elle se compose, comme la planète qui la porte, de débris de mondes disparus. Aux vieilles tentatives d’explication universelle se sont substituées des séries de patientes investigations sur la nature et l’histoire. La philosophie semble ainsi aspirer à redevenir ce qu’elle était à l’origine, la science universelle ; mais au lieu d’essayer de résoudre le problème de l’univers par de rapides intuitions, on a vu qu’il fallait d’abord analyser tous les élémens dont l’univers se compose, et construire la science du tout par la science isolée des parties. Au milieu de ce vaste mouvement, continué avec courage par d’ardens esprits, à travers des circonstances si contraires, que devient la métaphysique ? Reste-t-il une place pour elle dans la classification nouvelle des sciences à laquelle le siècle semble amené ? Y a-t-il une science des vérités premières, dont toutes les autres soient tributaires, ou bien la métaphysique n’est-elle que le résultat général de toutes les sciences, et le jour de son grand avènement sera-t-il justement le jour où elle disparaîtra du nombre des sciences particulières ? C’est là un problème qui se présente chaque jour à tout homme réfléchi, et sans la solution duquel on ne peut se faire une idée de l’avenir réservé aux spéculations de l’entendement humain.