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en relations avec des officiers anglais depuis le jour où je parcourais les côtes des régences barbaresques en compagnie de l’amiral Freemantle ; mais deux mois de cette intimité, dont j’ai toujours gardé le souvenir, ont suffi pour dissiper en partie les préventions que je nourrissais contre une race ennemie. Je ne me sens pas encore de force à beaucoup aimer les Anglais ; je reconnais cependant volontiers quelle influence aurait sur les destins du monde le rapprochement sincère de ces deux nations qui semblent n’avoir été créées si voisines et si dissemblables que pour se compléter l’une par l’autre. Que fût-il arrivé si, dès 1820, l’alliance de la France et de l’Angleterre eût été une alliance sérieuse ? Au retour des commissaires qui avaient été sommer les régences barbaresques de changer de conduite, une flotte anglo-française fût partie des ports où à toute éventualité on eût dû la tenir rassemblée. A ce signal d’une résolution irrévocable, le dey d’Alger, comme celui de Tunis, comme celui de Tripoli, aurait probablement cessé de refuser les garanties qu’on lui demandait. S’il eût persisté dans sa mauvaise foi, ce que le roi Charles X s’est chargé d’accomplir dix ans plus tard, malgré les menaces de l’Angleterre, se serait accompli avec le concours et le plein assentiment de cette puissance. Lorsqu’au contraire tout tendait à prouver à des chefs fort bien instruits au fond de nos discordes que l’entente de la France et de la Grande-Bretagne n’était qu’apparente, et ne serait suivie d’aucune démarche décisive, fallait-il s’étonner que les notifications d’un congrès eussent à peine le don de les émouvoir ?

La marine française, je crois l’avoir déjà fait comprendre, se trouvait, après la paix de 1815, dans un état de délabrement, moral plus encore que matériel, qui pouvait faire douter qu’il lui fût désormais réservé de longs jours. L’Europe cependant ne s’était adressée qu’à la France pour lui demander d’aller signifier aux régences barbaresques, de concert avec l’Angleterre, le jugement rendu par le tribunal de la civilisation. Elle s’était souvenue qu’il n’y avait jamais eu que deux grandes puissances maritimes dans le monde, et c’était sur le concours de ces pavillons, si récemment ennemis, qu’elle avait compté pour faire prévaloir au sein de cours barbares ses justes réclamations. Ce n’est pas en vain qu’une nation a de glorieuses annales. Les découragemens d’une situation transitoire ne pouvaient effacer de nos fastes militaires les deux grandes époques pendant lesquelles nos vaisseaux avaient disputé l’empire de la mer aux Anglais. Ils ne pouvaient les effacer davantage de la mémoire de l’Europe. En rétablissant l’ancien ordre des choses et l’ancien équilibre, les hommes d’état n’auraient point été conséquens, s’ils eussent un instant songé à admettre la dictature navale d’une seule puissance. Rentrée dans ses limites de 1789, la France ne pouvait reprendre