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la plage. Il était impossible de songer à mouiller sur une rade foraine par un temps semblable. Le soir heureusement le vent s’apaisa. Nous gouvernâmes sur la forteresse, et lorsque nous en fûmes à la distance d’environ deux lieues, nous laissâmes tomber l’ancre, par trente brasses d’eau, sur un fond de sable et de corail.

Nous commencions à être familiarisés avec l’appareil guerrier dont s’entouraient alors les souverains barbaresques ; notre entrevue avec le bey de Tripoli nous offrit cependant un spectacle qui ne laissa pas d’exciter notre intérêt. Une troupe nombreuse vêtue à la turque, mais la tête couverte d’une simple calotte rouge, formait une double haie sur notre passage. Chaque soldat était armé d’un fusil qu’il tenait renversé, le bout du canon posé à terre, appuyant le bras droit sur la crosse, délicatement incrustée d’écaille et de nacre. La contenance martiale de ces gardes, l’éclat de leurs armes rappelaient le beau temps des janissaires. Le bey était assis sur son trône, entouré de ses enfans, de ses ministres et de ses grands officiers. Des fauteuils avaient été disposés pour nous et notre suite. Je présentai à son altesse, qui nous reçut avec une extrême bienveillance, les notifications que nous avions déjà remises au dey d’Alger et au bey de Tunis. Dès qu’il eut entendu la lecture de ce document, que le chancelier du consulat de France lui traduisit en italien, le chef de la régence de Tripoli, dont la conscience se trouvait sans doute plus à l’aise que celle de ses confrères, répondit sans hésiter que « son père et son grand-père avaient toujours eu l’amitié des Européens, et qu’il voulait la conserver à ses enfans. » Sidi-Yousef-Karamanti ajoutait que nous recevrions dans peu d’heures la réponse par écrit que nous avions demandée. Cette réponse nous fut en effet transmise avant que nos divisions eussent quitté le port ; elle était aussi brève et aussi satisfaisante que possible.

Ainsi se termina ma première campagne diplomatique. Le côté délicat et épineux de cette mission était celui auquel le congrès européen avait le moins songé. Il n’était pas besoin de chercher deux amiraux bien habiles pour remplir auprès des régences barbaresques l’office de hérauts d’armes ; mais il fallait montrer à des yeux qu’on n’abuse point aisément un amiral français et un amiral anglais sincèrement disposés à agir de concert. La longue impunité des régences était venue de nos querelles avec l’Angleterre. Les ports de la côte d’Afrique nous étaient précieux pour y conduire nos prises ou pour y ravitailler nos corsaires. Longtemps le dey d’Alger avait été un de nos alliés secrets, allié que l’amiral Nelson, lorsqu’il croisait en 1803 devant Toulon, voulut plus d’une fois punir de sa connivence. Comment donc persuader à ces chefs astucieux et barbares que nous étions les interprètes d’une résolution sérieuse ? Ils savaient de quel prix pouvait être pour nous leur amitié. Comment les