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mer des corsaires ; mais personne n’ignore que nous dépendons d’un grand monarque, le sultan, que Dieu conserve ! Si la guerre se déclarait entre la Porte-Ottomane et une nation européenne, nous aurions un devoir à remplir. Notre religion et la foi que nous avons jurée à notre seigneur nous commanderaient de lui porter tous les secours qui dépendraient de nous, hommes, subsides, bâtimens. Comment donc consentir à la demande que vous nous faites de ne plus armer de navires ? Si nous vous écoutions, que pourrions-nous répondre à la Porte-Ottomane le jour où elle aurait à requérir notre assistance ?

« Voilà tout ce que nous avons à vous dire. C’est l’exacte vérité. Si maintenant vous voulez mépriser la justice et venir nous inquiéter sans aucun motif, il y a un Dieu puissant qui veille sur tous. »


Quand nous étions arrivés à Alger, la peste y avait cessé depuis vingt jours : à Tunis, elle régnait encore ; elle avait fait des ravages horribles dans la régence. Le pays en était, disait-on, dépeuplé. Il serait difficile de rendre l’impression pénible que nous éprouvâmes en traversant l’espace qui sépare la ville du bord de la mer. Nous étions en automne ; un soleil ardent brûlait les restes de la végétation ; la terre, dépouillée de ses récoltes, semblait frappée de stérilité. En pénétrant dans les rues de Tunis, nous les trouvâmes désertes. Il s’exhalait de cette vaste cité, encombrée d’immondices, je ne sais quelle odeur infecte et cadavéreuse qui rappelait celle d’une tombe fraîchement remuée. Les maisons consulaires étaient protégées par une quarantaine rigoureuse. Tous les objets qu’on y faisait venir de l’extérieur étaient soigneusement soumis à une purification préalable ; mais cette précaution ne suffisait pas pour éloigner complètement le danger de la contagion. Le vent de mer, qui souffle généralement pendant les heures les plus chaudes du jour, soulève des tourbillons de poussière au milieu desquels peut se cacher le germe du fléau. Une plume, une feuille d’arbre, un fil, tout était un sujet de terreur pour les habitans de cette malheureuse cité. La crainte qui les dominait les condamnait à se renfermer dans des appartemens dont on osait à peine renouveler l’air. Aux ennuis de cette vie, toujours troublée par l’idée de la mort, il fallait ajouter le supplice d’une chaleur étouffante. Ce fut donc avec joie qu’après avoir pris congé du bey de Tunis et lui avoir renouvelé nos sommations, nous abandonnâmes le 1er octobre 1819 cette terre empestée.

Il ne nous restait plus à faire connaître la volonté des puissances qu’à une seule régence, celle de Tripoli. Le 7 octobre, nous étions devant ce port. Le temps était peu favorable. Une brume épaisse couvrait toute la côte, qui, dans cette partie, est extrêmement basse et paraît submergée. On en est à quelques milles qu’on ne distingue encore que le sommet des arbres. La mer déferlait avec force sur