Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une longue galerie, sur laquelle s’ouvrait un appartement de moyenne grandeur. C’était à la porte de ce salon que nous attendait le dey d’Alger. Nos pieds de giaours auraient sans doute souillé le somptueux tapis que l’étiquette nous défendait de fouler. Son altesse était assise dans un grand fauteuil doré, qui bien certainement avait jadis appartenu à une église : le dossier portait encore une colombe sculptée. Selon l’usage turc, on nous présenta sur des plateaux des tasses de café. Seul, j’avais remercié. Le dey me fit demander en souriant si je craignais d’être empoisonné. Je ne pus m’empêcher à mon tour de sourire de la question, et j’y répondis en avalant le liquide pâteux que contenait la tasse qui m’avait été offerte. L’amiral Freemantle avait voulu que je portasse le premier la parole à Alger : il devait la prendre à Tunis ; à Tripoli, la priorité me serait encore dévolue. Le consul de France, qui parlait la langue turque comme sa langue maternelle, voulut bien se charger de me servir d’interprète ; mais, afin que nos notifications fussent parfaitement comprises, je remis en même temps au dey la traduction écrite que j’en avais fait faire.


« Prince (disions-nous à ce chef d’une insolente milice), les puissances de l’Europe, qui se sont réunies l’année dernière à Aix-la-Chapelle, ont déféré à la France et à la Grande-Bretagne le soin de faire des représentations sérieuses aux régences barbaresques sur la nécessité de mettre un terme aux déprédations et aux violences exercées par leurs bâtimens. Nous venons, au nom de sa majesté le roi de France et de Navarre, de sa majesté le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, vous notifier les dispositions des gouvernemens de l’Europe. Ces gouvernemens sont irrévocablement décidés à faire cesser un système de piraterie qui n’est pas seulement contraire aux intérêts de tous les états, mais qui tend encore à détruire tout espoir de prospérité chez ceux qui le mettent en pratique. Si les régences barbaresques persistaient dans un pareil système, elles provoqueraient contre elles une ligue générale, et elles doivent considérer, avant qu’il soit trop tard, que l’effet d’une telle ligue pourrait mettre en danger leur existence même.

« Veuillez donc bien, prince, nous donner les assurances que leurs majestés les rois de France et de la Grande-Bretagne attendent de vous, et qu’elles sont impatientes de transmettre à leurs alliés, sur un objet qu’elles ont profondément à cœur ; mais dans une circonstance aussi grave des promesses verbales ne suffiraient pas : il s’agit d’un pacte solennel de la plus haute importance pour la sécurité des navigateurs et du commerce de tous les états. Puisque nous vous déclarons par écrit les intentions des puissances alliées, nous sommes fondés à croire que vous répondrez de la même manière à une telle démarche. »


La diplomatie n’existerait pas que les Turcs l’auraient inventée. Qui peut se flatter d’avoir jamais obtenu de ces grands temporisateurs une réponse nette et catégorique ? Le dey d’Alger se trouvait