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et de la méthode. Quand nos escadres eurent cessé de tenir la mer, les flottes britanniques devinrent moins actives et ne se préparèrent plus avec la même ardeur au combat. Vers la fin de la dernière guerre, la plupart des vaisseaux de ligne anglais mettaient près de douze heures pour changer un mât de hune ; nos vaisseaux de 1813 exécutaient cette manœuvre en trente-cinq minutes. Fallait-il s’en étonner ? Nous croyions avoir tout à apprendre ; les Anglais s’imaginaient tout savoir. Leur flotte de la Méditerranée, retirée pendant six mois sur douze à Minorque, jugeait inutile de se livrer à aucun exercice ; elle restait au mouillage, les voiles déverguées, gréant à peine une fois par mois ses perroquets de peur d’en user les drisses, et se contentant de recevoir chaque jour, par ses éclaireurs échelonnés jusqu’à Toulon, des nouvelles de notre escadre. Tout était bien changé depuis cette époque. Les Anglais avaient encore leurs admirables matelots ; nous n’avions plus les institutions qui pouvaient jusqu’à un certain point suppléer à l’inexpérience des nôtres.

Le commandement du Centaure avait été confié par le ministre à de si bonnes mains, que je m’inquiétai peu du spectacle que présentait ce vaisseau la première fois que je le visitai. J’avais, sous la république, entrepris plus d’une campagne dans de pires conditions, et la mer n’était plus, comme alors, couverte de vaisseaux ennemis. Les officiers qui formaient l’état-major du Centaure n’avaient pas tous une égale habitude de la navigation ; c’était une conséquence inévitable du malheur des temps. Officiers et matelots, chacun avait dû faire en majeure partie son apprentissage dans les rades. La campagne de l’amiral Ganteaume à Corfou avait été dans la Méditerranée le tour du monde de bien des gens ; mais des hommes intelligens et animés du désir de bien faire s’instruisent à tout âge. Il ne leur faut qu’une bonne école et un bon maître. Le maître était trouvé : c’était le brave et habile capitaine du Centaure ; l’école, ce serait la mer avec ses leçons de tous les jours et de toutes les heures. »

Le 14 juillet 1819, je reçus les dernières instructions du ministre des affaires étrangères. Nos travaux n’étaient point complètement achevés ; il ne me fut possible de partir pour Mahon que le 21, et encore dans un très grand désordre. La Renommée s’était rangée sous mon pavillon. J’adressai au capitaine de cette frégate des instructions sur ce qu’il aurait à faire pour éviter une séparation ou pour me rejoindre, si cette séparation avait lieu pendant le court trajet que nous allions entreprendre. C’est une précaution que je n’ai jamais oubliée et que je recommande en paix aussi bien qu’en guerre à tous les chefs d’escadre. Le soir même, les vents, à la suite d’un orage, passèrent au nord-ouest. Tout annonçait un beau temps. J’en profitai pour mettre sous voiles ; à deux heures du matin, nous