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que les forts de la côte avaient des garnisons dont l’uniforme ressemblait à s’y méprendre à celui des équipages de haut bord. Ces équipages cependant étaient déjà dissous au moment de notre départ de France ; le gouvernement de la restauration s’était empressé de les licencier. Aucune batterie n’arborait de pavillon pour répondre au nôtre. La frégate la Prégel, l’unique bâtiment qui fût alors en rade, n’en portait pas davantage. Tout prenait à nos yeux dans cette baie déserte un air de mystère et de consternation. Tin cahot de la Prégel monté par un officier vint, avant que nous fussions mouillés, nous interdire toute communication avec la terre. Quelques mots suffirent pour nous apprendre ce qui s’était passé en France depuis notre départ : les cent-jours venaient de finir, mais ils n’avaient pas existé pour nous. L’empire relevé et une seconde fois terrassé, l’antique dynastie des Bourbons reprenant le chemin de l’exil et ramenée de nouveau dans son royaume, le destin du monde deux fois changé en quelques heures, tout cela s’était accompli pendant le temps que nous avions mis à venir de Bourbon à Brest.

Il n’y a que les marins pour lesquels une pareille page de l’histoire contemporaine puisse n’être qu’une page blanche. Les plus grands événemens, autrefois surtout que le service des courriers d’outre-mer n’était pas établi comme il l’est aujourd’hui, pouvaient parcourir le cercle complet de leur évolution sans que les bâtimens engagés dans des campagnes lointaines en eussent le moindre soupçon. On comprend les cruelles anxiétés qui, durant les temps de troubles, devaient agiter alors l’esprit d’un chef d’expédition. En pareille circonstance, le parti le plus sûr sera toujours, j’en suis convaincu, le parti le plus honnête. Un homme de cœur ne trahit pas le drapeau qui lui a été confié. Le voyage de la Psyché n’a fait que confirmer pour moi la leçon de morale que j’avais reçue de cette longue campagne d’exploration à laquelle l’ambitieux empressement de M. de Mauvoisis avait valu en 1794 une issue si funeste. Quiconque ne songera point à se faire un marchepied des épreuves de la patrie et cherchera avec un cœur simple à distinguer le chemin du devoir traversera plus heureusement ces jours de crise que les esprits subtils qui s’efforcent de devancer les événemens pour en escompter les bénéfices.

Le ministre de la marine avait prescrit de désarmer la frégate la Psyché aussitôt que nous arriverions à Brest. Dès que cette opération fut terminée et que j’eus fait au port la remise de la frégate, je rentrai dans la vie privée.

Un an environ après mon retour de l’île Bourbon, je fus compris dans une promotion de douze contre-amiraux. C’était une faveur