Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

batterie était complètement submergée. C’était une scène de désordre et de désolation impossible à décrire. Ce ne fut pas sans peine que je parvins à monter sur le pont. Je donnai aussitôt l’ordre à l’officier de quart de laisser arriver vent arrière et de gouverner en présentant soigneusement la poupe à la lame. Quand le jour se fit, nous n’aperçûmes plus autour de nous que deux de nos corvettes ; la troisième, obligée de céder à la violence de l’ouragan et emportée près de la côte d’Afrique, s’était réfugiée dans la baie de Lagoa, où elle avait pu réparer ses avaries. Quarante-huit heures après cette échauffourée, nous étions tous de nouveau réunis. La violence des vents d’ouest cependant ne s’apaisait pas. La Psyché, ébranlée par tant de secousses, menaçait à chaque instant de se découdre. Les poutres qui soutiennent les ponts jouaient d’une manière effrayante dans leurs encastremens ; à chaque coup de roulis, les ponts eux-mêmes se séparaient de plusieurs pouces de la muraille. Je dus faire usage des grands moyens. De forts cordages raidis au cabestan furent passés d’un bord à l’autre sous la carène, et resserrèrent tant bien que mal les diverses parties de notre charpente : c’est ce qu’on appelle cintrer un bâtiment. J’avais peine à m’expliquer comment une frégate toute neuve, construite sur les plans de M. Sané et douée de qualités nautiques fort remarquables, pouvait manquer aussi complètement de solidité. A notre retour à Brest, lorsqu’on fit entrer la Psyché dans le bassin pour lui faire subir un grand radoub, le mystère se trouva dévoilé. La Psyché avait été construite en Hollande par des entrepreneurs qui étaient parvenus à surprendre la bonne foi de l’ingénieur français chargé de les surveiller. Partout où des chevilles de cuivre auraient dû être employées, on leur avait substitué une simple rondelle de métal. La tête des chevilles existait, on n’avait supprimé que la tige. Ces coupables fraudes se sont reproduites dans tous les temps et dans toutes les marines. En Angleterre, le comte de Dundonald, le vaillant capitaine Cochrane, les avait signalées à l’indignation publique. La perte du Blenheim, qui, portant le pavillon du contre-amiral Troubridge, disparut pendant la dernière guerre dans les parages mêmes où la Psyché avait failli sombrer, n’eut peut-être d’autre cause que ces infâmes supercheries, auxquelles de hautes influences parlementaires se faisaient alors un jeu de prêter les mains, tant il est vrai que, sous tous les régimes, les intérêts de l’état se sont vus trop souvent sacrifiés à des considérations personnelles. Les abus maritimes (naval abuses) ont été bien longtemps une des plaies les plus hideuses de la constitution anglaise. La politique en avait fait pour ainsi dire un instrument avoué de corruption électorale. La marine française, protégée par de meilleures