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et son admirable fertilité, une possession dont chaque jour doit nous faire apprécier davantage la valeur. Une telle restitution prouvait que dans les desseins de l’Europe l’anéantissement de la marine française eût été considéré comme un trouble regrettable dans l’équilibre du monde. J’avais quitté la France sous une impression douloureuse ; j’en oubliai presque l’amertume en me trouvant associé à un événement qui me laissait entrevoir, au milieu des tristesses de récens désastres, quelques-unes des conséquences les plus bienfaisantes de la paix.

Le 13 mai 1815, un mois environ avant la bataille de Waterloo, nous étions prêts à faire voile pour rentrer à Brest. Des navires arrivant d’Europe nous apprirent qu’au moment de leur départ il régnait en France une grande agitation. Tout faisait présumer que la paix ne serait pas de longue durée. Je prévins en conséquence les capitaines de la division que nous ne relâcherions nulle part, et je leur assignai divers points de rendez-vous en cas de séparation. Ce fut dans cette situation douteuse, et avec l’anxiété d’un homme qui se souvenait encore de la rupture de la paix d’Amiens, que je pris congé de la colonie de Bourbon. Je tenais déjà pour certain qu’une révolution avait éclaté ou était imminente en France. Si, heureux jusqu’au bout, je parvenais à tromper la poursuite des nombreux ennemis répandus sur ma route, sous quel pavillon devrais-je me présenter à mes compatriotes ?

En appareillant de la rade de Saint-Paul, nous nous dirigeâmes sur le cap de Bonne-Espérance. Mon intention était de m’approcher de la côte d’Afrique, afin de profiter des courans qui, le long de terre, devaient m’être favorables. Nous eûmes assez beau temps les deux premiers jours de notre navigation ; mais, à la hauteur de l’île de Madagascar, nous fûmes assaillis par de violens orages, accompagnés de grêlons d’une grosseur prodigieuse. Nous étions à l’époque du changement de mousson, toujours marquée par de nombreuses tourmentes. La frégate fatiguait tellement qu’elle faisait eau de toutes parts, et que nous étions obligés de tenir constamment une partie de l’équipage aux pompes. Nous n’avions fait cependant aucune avarie ; mais, dans une nuit des plus obscures, la Psyché reçut plusieurs coups de mer, dont l’un, nous prenant par la hanche, défonça cinq sabords à la fois. J’avais eu heureusement le soin de faire condamner les panneaux de la batterie, et ce fut sans doute à cette précaution que nous dûmes de ne pas couler sur place. Il était environ quatre heures du matin ; je venais de quitter le pont et de me mettre au lit quand cette effroyable avalanche déferla sur nous. La commotion qu’en reçut la frégate fut si forte que je crus qu’elle avait le côté de tribord enfoncé. La