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et suivi dans ces espaces mouvans la course de la gazelle et du chameau, il ne pouvait plus vivre dans des murailles, et que la seule vue d’une clôture ou d’une haie lui coupait la respiration. À dire le vrai, rien qu’à le voir, à contempler la vigueur athlétique de ses membres et le souffle puissant qui soulevait les colonnes de sa poitrine, je me serais douté que l’immensité était son élément. Chez d’autres au contraire, l’étude des mœurs et des langues de l’Orient a entretenu et développé la culture de l’intelligence, et tel petit fort, perdu dans la montagne, où vous arrivez après une journée de fatigue et d’orage, vous réserve la surprise de trouver au coin d’un feu hospitalier tous les plaisirs d’une conversation spirituelle et l’aspect charmant du bonheur conjugal.

Mais ce sont les chefs arabes avant tout qui sont curieux à connaître par le singulier amalgame qu’ils font déjà de leurs coutumes natales et des inspirations qui naissent du contact des Français. Le plus bizarre, mais le plus déplaisant aussi de ces produits d’ordre composite, c’est l’Arabe qui a été à Paris et qui parle le français à peu près couramment. En général, il a rapporté de son voyage toute sorte de lumières puisées à deux grandes écoles de philosophie, le café et le théâtre. Il s’élève au-dessus des préjugés de la loi musulmane en en gardant toutes les libertés. Il boit du vin, mais il a plusieurs femmes, et raconte les incidens de ses divers intérieurs avec toute la liberté grivoise d’un roué qui parle à souper de ses maîtresses. Ces propos, que j’ai eu le bonheur de n’entendre que de seconde main, produisent un effet singulier, et que je ne croyais pas possible. Ils dénaturent et, Dieu me pardonne, je crois qu’ils profanent l’institution de la polygamie, dont la jalousie et le mystère sont évidemment des correctifs nécessaires. Un harem où la curiosité pénètre et que ne garde point un eunuque avec un grand sabre prend l’apparence d’un établissement d’un tout autre caractère. Avec quel repos d’esprit, en sortant de cette atmosphère de deux corruptions mélangées, on s’assoit dans la demeure d’un vieux croyant, d’un hadji qui revient de La Mecque, qui vous attend sur le pas de sa porte, environné de ses fils, de ses pâtres, et au milieu de l’affluence des troupeaux qui descendent de la montagne ! Je souhaite aussi à tout le monde, pour compléter cette variété de portraits, la rencontre vraiment unique qui a terminé une de mes dernières excursions. En m’arrêtant à l’étape du milieu du jour, je fus surpris d’entendre sortir de dessous la cape blanche de mon hôte, au lieu du salamalek ordinaire, un bonjour français prononcé avec le plus pur accent de Paris. Mon guide, se penchant vers moi, m’avertit à l’oreille que j’avais devant moi un soldat français qui, ayant fini son temps de service, avait imaginé de se faire musulman pour épouser la fille d’un kaïd auquel il avait l’espérance de succéder. J’avais donc sous