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vingt-cinq mille rejetons une montagne entière et parfumer l’air de ses exhalaisons embaumées, et quand le vent s’engouffrait sous l’envergure majestueuse de leurs rameaux, j’ai ouï passer la voix du Seigneur, vox Domini confringentis cedros. J’ai dû à l’Afrique aussi, mais cette fois à l’Afrique nouvelle et française, l’apparition toute vivante d’un autre passé presque aussi cher à mon imagination. Si, pour retrouver les traces de l’activité féconde de la vie monastique qui au IVe siècle de l’ère chrétienne a fait refleurir le désert, j’eusse été interroger les retraites mêmes de la Thébaïde, je n’y aurais probablement trouvé que quelques moines coptes répétant d’une voix nasillarde des légendes dignes de risée, mêlées à de sottes hérésies métaphysiques. L’exploitation agricole des trappistes de Staouéli à la porte d’Alger m’a donné le spectacle des fils de saint Benoît mêlant de nouveau sur une terre abandonnée la prière au travail. Je me suis assis (je crois que c’était le jour même où de grands journaux de Paris trouvaient de bon goût de railler agréablement ces serviteurs de Dieu et de la France) dans le petit cimetière où reposent quatorze d’entre eux qui en une seule année ont payé de leur vie le concours donné par une foi impérissable à une civilisation renaissante, et là, au pied de la croix, sous un soleil de feu qui faisait scintiller à l’horizon les vagues de la Méditerranée, suivant du regard à travers la plaine semée de palmiers les frères laboureurs, reconnaissables de loin à leurs capotes brunes, j’ai éprouvé pour un moment une illusion complète. Je me croyais transporté aux jours d’Antoine et de Pacôme, ou plutôt ni le temps passé ni le temps présent n’existaient plus pour moi. Quatorze siècles écoulés et tant de révolutions avaient disparu de ma pensée ; il n’y restait plus que ce qui ne change pas, les cieux, l’océan et l’Évangile.

C’est ce renouvellement de vie qui fait l’originalité du spectacle moral et matériel que présente l’Algérie de nos jours. Que d’autres terres aient plus de souvenirs ; celle-ci a plus d’espérance, et c’est bien, je pense, quelque chose. Il y a même dans son état présent, qui est une transition peu ménagée d’une barbarie enracinée à une civilisation importée, la source des plus piquans contrastes en même temps que des plus curieuses comparaisons, et ceux qui aiment à penser autant que ceux qui aiment à rire trouvent à se satisfaire dans les moindres incidens du voyage. Vous partez par une belle route stratégique, bourgeoisement, en voiture, comme on quitte ou du moins comme on quittait Paris avant qu’il y eût des chemins de fer. A cinq minutes de la ville, qui est-ce qui encombre la voie et qui heurte vos glaces ? C’est un troupeau de chameaux chargés de dattes encore fraîches et cueillies dans les oasis du Soudan. Un peu plus loin, la route s’arrête : il faut vous lancer, au travers des palmiers nains et des lentisques, au galop d’un cheval dont les naseaux fré