Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils y reviennent, malgré les déceptions, les souffrances, trop payés de la ruine et de la fièvre par un rayon de son soleil, et trouvant à côté d’elle la terre natale elle-même froide et décolorée. Cet attachement qu’inspire l’Algérie, et qui est à lui seul une grande force pour la colonisation, j’en ai eu le spectacle, même chez de pauvres familles à qui l’émigration ne semblait pas avoir porté bonheur, et j’en ai ressenti à mon tour l’impression comme son hôte passager. À quoi tient-il que ce sentiment devienne plus général et surtout plus contagieux ? A peu de chose peut-être, à quelque mode nouvelle par exemple qui entraînerait sur la rive africaine tout ce courant de pèlerins du plaisir qui vont aujourd’hui servilement, sur les pas les uns des autres, porter aux bords du Rhin ou en Italie leur loisir et leur argent. Le jour où tout ce monde ambulant dont l’Europe regorge, et qui commence à la trouver trop étroite, voudra essayer de l’Afrique pour son plaisir, je lui garantis qu’il sera payé de sa peine, et il n’en faudrait probablement pas davantage pour décider la fortune de la colonie. En particulier, je ne puis guère comprendre que tant de nos compatriotes, jeunes, riches et oisifs, se précipitent chaque année, à la suite des Anglais, vers des contrées qui n’ont plus de mystères, tandis qu’on n’a pu encore l’autre jour, même par l’appât d’un train de plaisir, réunir un nombre de voyageurs suffisant pour aller à quarante-huit heures de nos côtes visiter un des plus beaux pays de la terre et, au sein de tous les souvenirs qui rappellent notre gloire, étudier un des plus curieux problèmes qui engagent nos intérêts.

Je sais ce qui appelle vers l’Italie, vers la Grèce, vers l’Orient : la magie des souvenirs et la trace lumineuse du passé. Oserais-je dire pourtant, sans manquer de respect aux grandes mémoires, que ces vieilles terres, qui ont tant produit et tant souffert, ne présentent le plus souvent aujourd’hui qu’une empreinte effacée, et que cette fécondité sanglante de leur sein tant de fois déchiré les a épuisées et amaigries au point de les rendre méconnaissables ? Croit-on par exemple que l’antique Judée, après avoir supporté ravages sur ravages et conquête sur conquête, ressemble aujourd’hui à la terre promise telle qu’elle apparut à la sortie du désert aux éclaireurs de Moïse ? Non, la vigne et le figuier ont cessé de croître sur le sol de Chanaan, et nulle herbe ne pousse plus dans la prairie où le fils d’Isaac menait paître ses troupeaux. J’ai souvent pensé, en me promenant en Algérie, que cette terre moins désolée, parcourue aussi par des enfans d’Abraham, me représentait mieux ce que devait être l’Orient dans l’adolescence du monde, du temps de sa gloire et avant sa grande ruine. J’entends dire que le Liban n’a plus de cèdres, et que Salomon y chercherait en vain les lambris d’un second temple. J’ai pu voir en Afrique cet arbre biblique couvrir de