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pour diriger la conquête, et de ses bras pour achever les travaux publics, et même de ses bouches pour consommer les produits. Tout ce qui menaçait son juste crédit était donc un véritable péril pour la société naissante. La création du ministère de l’Algérie en 1858, le changement d’administration qui en a été la suite, en attestant une préoccupation spéciale du gouvernement pour les intérêts africains, devaient donc avoir pour but principal de porter remède à cet état de choses inquiétant. Il nous reste à faire voir comment le remède a eu au contraire pour effet immédiat d’exaspérer le mal et de le porter à un degré qui a rendu pour un moment en Algérie tout gouvernement impossible. Ce sera le sujet d’une autre étude ; je dois arrêter ici des développemens qui ont pris une dimension inattendue, mais dans le cours desquels personne, j’espère, ne trouvera que j’aie été ingrat pour aucun service ou injuste pour aucune intention.

Je ne voudrais pourtant pas poser la plume sans avoir réparé le tort involontaire que plusieurs des considérations que j’ai développées pourraient faire dans l’esprit des lecteurs à l’Algérie et à son avenir. J’ai cru devoir exposer sans détour les difficultés de la colonisation, les périls auxquels elle a été exposée, les lenteurs des succès qu’elle a obtenus, les frais considérables qu’elle a entraînés. En matière si grave, la vérité a tous les droits comme aussi tous les avantages. Les illusions ne servent qu’à préparer les désappointemens, qui à leur tour produisent les découragemens. La conquête de l’Algérie n’a marché d’un pas rapide que lorsqu’un homme de bien, qui devait se trouver plus tard un grand homme de guerre, a eu le courage de dire à la tribune qu’il lui fallait pour l’accomplir une armée de cent mille hommes, et qu’à moindres frais il ne s’en chargeait pas. La colonisation même n’entrera dans une voie sérieuse de progrès que quand la France saura bien nettement qu’elle doit coûter beaucoup de peine, beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Quand on n’a pas bien mesuré l’étendue des sacrifices, on n’avance pas davantage ; mais on s’impatiente de ne pas avancer, et l’impatience retarde au lieu de hâter. Je n’ai donc point hésité à confesser les désavantages que l’Algérie présente par rapport à d’autres terrains et à d’autres essais de colonisation ; mais je manquerais à la justice si je ne mettais en regard un avantage qui les compense tous, s’il ne les dépasse pas. C’est tout simplement le charme que l’Afrique exerce sur ceux qui l’habitent, et même sur ceux qui la traversent. Où réside précisément ce charme ? C’est ce que personne de ceux qui l’éprouvent ne saurait bien dire ; mais il est certain que qui a vu cette terre attrayante ne l’oublie pas, et qui s’y est fixé une fois ne la quitte plus. L’Algérie attire très peu jusqu’à présent, il faut en convenir, mais elle retient tous ceux qu’elle attire. Ils y restent,