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tout le reste, la tribu vit à sa mode et s’administre elle-même. Même en matière financière et judiciaire, cette liberté subsiste au premier degré, car c’est la tribu qui, sous sa responsabilité collective, perçoit les contributions dont elle est grevée, c’est elle aussi qui, en cas de délit, commence les instructions et les recherches, et s’oblige, sous peine d’une amende déterminée, à livrer le coupable à la justice française.

La tribu reste donc, malgré la conquête, comme une sorte de noyau intact, comme une monade : disposition fort sage dans le principe, qui a eu pour premier effet d’accommoder également le vaincu et le vainqueur, en évitant à l’un les frais d’une administration coûteuse, à l’autre l’importunité de l’ingérence quotidienne d’une main étrangère. On n’aurait pu remplacer cette administration de la tribu par elle-même qu’en créant un énorme personnel d’agens français, et cette substitution ruineuse n’eût été qu’une source de froissemens et de révoltes internationales. Disposition fort sage, disons-nous, à une condition cependant, c’est que ce maintien de la tribu soit regardé comme un état provisoire, et non comme une constitution définitive. On ne peut se dissimuler en effet que l’existence de la tribu est un grand obstacle à tout progrès social en Algérie, car les conditions essentielles à cette nature de communauté sont destructives de tout développement soit de richesse, soit de colonisation. Le régime de tribu entraîne presque nécessairement la propriété collective, c’est-à-dire la stérilité et peu à peu la ruine du meilleur sol. C’est la tribu qui, pour subsister, a besoin d’étendre sur des espaces inoccupés la molle étreinte de ses bras oisifs, et maintient ainsi le désert oriental sur les plages où la vie européenne pouvait vouloir se répandre. Il n’est donc permis de respecter aujourd’hui l’intégrité de la tribu qu’avec l’intention bien arrêtée de la miner graduellement et de la faire disparaître le plus tôt possible. En théorie, tout le monde en convient ; en pratique, ce gouvernement à deux degrés, cette espèce de suzeraineté féodale, qui ne laisse à l’épaulette française que l’éclat et les hautes réalités du pouvoir, sans aucun des ennuis de l’administration de détail, est un rouage commode et coulant auquel on a quelque peine à renoncer. Le pouvoir, quel qu’il soit, même militaire, est conservateur de sa nature. L’axiome quieta ne moveas est sa devise. Or la tribu en ce moment est tranquille, elle obéit sans résistance ; pourquoi y toucher sans motif ? Il sera temps demain autant qu’aujourd’hui. Le lendemain vient, et il y a la même raison pour ne pas faire plus que la veille. Lorsque la colonisation arrive, elle a l’inconvénient de troubler ce repos : elle demande des terres, et ne peut en prendre qu’en refoulant la tribu dans ses limites. Elle demande