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rende son territoire éminemment propre à la colonisation qu’on lui destine ; mais le malheur, c’est que la nature n’y est ni neuve ni vierge, c’est que les hommes y ont beaucoup vécu à côté d’elle pour abuser d’elle. L’Algérie, telle qu’elle nous est tombée en partage, n’était pas un pays inhabité, mais un pays mal habité, ce qui est très différent pour toute expérience, mais surtout pour une colonisation. Pour ne prendre que le côté le plus pratique et le plus étroit de la question, il n’y a point d’agriculteur qui ne puisse dire combien une terre encore inculte diffère, pour le profit qu’on en peut tirer, d’une terre longtemps mal cultivée. Sur une terre inculte, si l’homme n’a rien mis du sien, au moins il n’a rien ôté. Toutes les forces vives et naturelles du sol ont été respectées et ont même été, en certaine mesure, accumulées et thésaurisées dans son sein ; mais une terre mal cultivée est une terre à laquelle le possesseur a beaucoup demandé et beaucoup pris sans lui rien rendre. L’Algérie tout entière est cette terre-là. Dès qu’on s’avance un peu dans l’intérieur, dès qu’on sort de la banlieue des villes, le spectacle qu’on aperçoit n’est pas le désert, mais la dévastation. Ce sont les richesses naturelles prodiguées d’abord, puis étouffées dans leur germe, et qui demandent, pour être rétablies dans leur abondance et leur vigueur primitives, un travail presque aussi considérable et presque aussi coûteux que celui qui est nécessaire à nos vieilles terres, fatiguées par tant de siècles de culture et sollicitées par tant de bouches à nourrir.

Il faudrait des volumes pour raconter, et des connaissances plus précises que je ne les possède, pour faire comprendre tout le mal que les Arabes, avec leur vie déréglée et leurs détestables procédés de culture, ont fait à un pays renommé autrefois comme le grenier du monde. Il en est un pourtant qui saute aux yeux les moins exercés. Les croupes arrondies des montagnes, assez semblables, dans leur forme, aux pentes des Vosges et du Jura, sont couvertes au printemps d’une teinte de verdure uniforme qui fait croire de loin à l’existence de vastes forêts comme celles qui couvrent nos montagnes. Elles y croissaient autrefois, on n’en peut douter, et on en retrouve encore la trace sur les sommets assez élevés et assez écartés pour avoir échappé à l’invasion musulmane ; mais partout ailleurs l’habitude barbare qu’ont les Arabes de brûler tout le bois qu’ils trouvent, pour former avec les cendres un détestable fumier, a depuis longtemps fait tomber toutes les hautes tiges, et la dent venimeuse des chèvres et des moutons qu’on laisse courir au hasard détruit les jeunes plants à mesure qu’ils poussent. Toute la force productive s’épuise donc en broussailles épaisses, entre lesquelles l’Arabe trace un léger sillon à fleur de terre, suffisant pour épuiser partout les premières couches du sol, sans en avoir nulle part pé