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au nombre des causes de notre merveilleux prestige : après la victoire aussi, rien n’est plus propre à relever l’éclat d’une fête triomphale. Mais si pour lever sept, huit ou dix mille hommes sur le territoire des Arabes, il nous faut le couvrir de cinquante mille Français (ce qui est encore le minimum de l’armée d’occupation), ce serait en vérité faire trop d’estime de la valeur musulmane que de considérer, en cas de guerre européenne, un tel échange comme avantageux.

Cette situation peut s’améliorer, je le sais, par les progrès de la civilisation, de la richesse chez les Arabes, par leur soumission plus facile au joug français, et M. le colonel Ribourt signale à cet égard des faits très encourageans ; mais en faisant à ces espérances le plus large crédit, on voit qu’un temps indéfini s’écoulera encore avant que l’équilibre s’établisse entre ce que la conquête nous coûte et ce qu’elle nous rapporte, et la France ne peut se condamner sans terme à de si ruineuses avances. Sur ce point, par conséquent, toutes les prévisions du bon sens national ont été vérifiées par l’événement, et il demeure démontré que la conquête elle seule, si elle n’était le préliminaire de quelque autre entreprise, est une opération stérile autant que glorieuse. Je me trompe : il est pourtant un fruit que la France a déjà tiré de sa conquête, et qu’elle n’avait pas prévu ; elle doit aux efforts conquérans de son armée en Afrique un bienfait inappréciable, et ce bienfait, faut-il le dire, n’est autre que cette armée elle-même. L’armée d’Afrique est jusqu’à ce jour le meilleur produit que nous ait donné le sol africain. C’est ici véritablement l’application de l’ancien apologue du fabuliste. Je ne sais si, en fouillant dans ses profondeurs le patrimoine rocailleux assigné à leurs efforts, les fils vaillans et industrieux de la France ont encore trouvé le trésor qui leur était promis ; mais je sais bien que ce labeur a porté son salaire avec lui-même, en les formant pour devenir la terreur et le modèle des armées de l’Europe entière. Cet avantage n’est pas dû seulement au fait matériel d’une guerre continuée pendant trente années, tandis que la paix régnait en Europe, et qui nous a permis, le jour venu, d’opposer des armées aguerries à d’autres qui n’avaient jamais vu la fumée d’une pièce d’artillerie. Outre ce profit inappréciable, le caractère même de la guerre d’Afrique a contribué à développer, chez les troupes qui en ont soutenu les rigueurs, des qualités qui avaient souvent fait défaut à nos armées, et que leur constitution moderne surtout leur rendait difficile d’acquérir. C’est ce qui a été expliqué déjà ici même avec une autorité qui rend toute redite superflue dans le récit de la création de ces corps spéciaux nés en Afrique, et qui, sur les champs de bataille de Crimée et d’Italie, sont devenus, sinon