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la fois et de leurs besoins et de leurs intentions, de leurs désirs et de leurs menaces ; ils se sont chargés d’y maintenir le respect de notre pouvoir et d’y faire pénétrer en même temps autant d’idées de moralité, de justice, de progrès social qu’en comportait le tempérament rebelle de l’islamisme. C’est ainsi qu’a été résolu le problème de former sous le régime militaire une administration réelle, avec ses traditions, ses règles et ses intentions bienveillantes. Partout où l’armée s’est avancée, elle a porté avec elle une sorte de préfecture en germe, avec la tunique, le ceinturon et le képi. J’ai défini les bureaux arabes, que je ne puis m’empêcher de considérer encore aujourd’hui, malgré des préventions très répandues, comme la véritable cheville ouvrière de la conquête française.

Les bureaux arabes en effet ont senti dans ces derniers temps l’inconstance de la popularité. La première fois qu’au lieu de Juifs menteurs et de méprisables transfuges, qui avaient au début servi d’intermédiaires entre les Français et les indigènes, on vit de brillans officiers accepter le rôle chevaleresque de s’enfoncer dans des retraites redoutées pour y devenir les pionniers de la civilisation conquérante, ce généreux dévouement fut salué en Algérie même avec un véritable enthousiasme, dont l’écho, répété par la presse, résonna jusque dans l’enceinte des chambres parisiennes. Peu de décrets ont été aussi bien accueillis que celui de 1844, qui établit un bureau d’affaires arabes auprès de chaque division et subdivision militaire et sur chacun des autres points occupés par l’armée où le besoin en serait reconnu. Aujourd’hui, par un retour dont ceux-là seuls s’étonneraient qui ne connaissent pas la mobilité humaine, de toute l’administration algérienne, il n’y a peut-être pas un point plus vivement attaqué, et, je dois le dire, plus mollement défendu que l’institution des bureaux arabes. Le bruit des attaques, comme autrefois celui des éloges, a fini par passer la mer en se dénaturant un peu pourtant dans le voyage. En Europe, grâce à l’impression encore vive laissée par un procès fameux, un chef de bureau arabe apparaît volontiers aux imaginations comme un de ces proconsuls romains, dénoncés par Cicéron, qui pressuraient les populations soumises de l’Orient, ou comme un de ces chefs espagnols contre lesquels Las Casas a ému pour jamais l’indignation de la postérité : c’est l’instrument vénal ou sanguinaire de toutes les vexations et de toutes les spoliations de la conquête. En Algérie, le genre de reproches est tout opposé, bien que la vivacité en soit pareille. Ce n’est point d’opprimer les indigènes que les bureaux arabes sont accusés, c’est au contraire de s’être laissé gagner par eux pour les protéger en toute chose aux dépens de la justice et des intérêts des colons français. Rien ne surprend même plus un nouveau débarqué