Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mités par les mille canaux du capital, ne s’y trouve encore qu’en embryon et en rudiment. Tout colon doit donc ou s’associer à un capitaliste qui le défraie, ou, ce qui est plus sûr, être son capitaliste à lui-même. Il faut arriver les poches pleines, portant avec soi ce qui est nécessaire pour se vêtir, s’alimenter, bâtir sa demeure et tracer son sillon. Une colonie à fonder n’est donc point, comme beaucoup de gens se le représentent, une sorte de brelan ouvert où un joueur qui a tout perdu peut encore courir une chance sans fournir de mise. Dans une colonie naissante, encore plus qu’ailleurs, il n’y a que ceux qui ont déjà quelque chose qui ont chance d’acquérir davantage.

On dira qu’en ce cas ce n’est pas la peine d’aller si loin, et qu’un homme qui a reçu du ciel le courage et l’aisance, étant à peu près sûr de faire fortune partout, n’a pas de raison de s’expatrier. Je ne nie point qu’il n’y ait là, comme au début de beaucoup de choses, un cercle vicieux d’où il est embarrassant de sortir. Il y a pourtant une nation dans le monde qui a toujours merveilleusement réussi à s’en dégager ; il y a une nation qui semble prédestinée, par ses institutions politiques comme par ses institutions sociales, à couvrir le monde de colonies. C’est celle-là même qui est par excellence la patrie de l’audace individuelle et la nourrice du capital. On a nommé l’Angleterre : elle a débuté dans cette carrière par la plus singulière des bonnes fortunes, et elle l’a due (ô faveur imméritée de la Providence !) à ces mêmes agitations religieuses qui ont épuisé dans le sein déchiré de la France le plus pur de notre sang. Ces puritains qui, au début du XVIIe siècle, allèrent fuir le joug des Stuarts sur les rives de la Virginie et de la Nouvelle-Angleterre ; ces hommes, appartenant presque tous aux classes aisées de la société et emportant avec eux tout leur avoir pour ne rien laisser à leurs oppresseurs ; ces pères de famille de mœurs austères, possédés par une conviction passionnée et pleins de cette indomptable confiance en soi-même que donne l’orgueil du libre examen mêlé à l’aveuglement du fanatisme, c’était là véritablement le type achevé et l’idéal du colon. On ne s’étonne point que la nature la plus rebelle ait cédé à l’étreinte de telles mains, et d’une telle pépinière la forêt qui est sortie ne paraît pas trop majestueuse. Si l’Angleterre n’a pas tous les jours de telles aventures coloniales, elle a pourtant toujours une excellente école de colons dans ces fortes institutions qui développent dès le jeune âge chez chacun de ses enfans l’habitude virile de ne compter que sur soi-même. Une éducation dirigée presque sans surveillans, une justice rendue presque sans magistrats, une police maintenue presque sans gendarmes, un sentiment partout répandu d’indépendance et de responsabilité personnelles, tous les efforts permis, mais très peu de soutien promis par le pouvoir à l’ambition ou à