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Cependant l’aventure qui m’appelait en des pays inconnus avait trop de charme pour laisser accès dans mon esprit aux tristesses cruelles. J’avais, de la mélancolie humaine, ce que j’en souhaite aux cœurs faits pour savourer les émotions les meilleures et les plus délicates de ce monde.

Il faut savoir rendre justice à la vie, lorsque par hasard elle veut bien secouer la monotonie qui lui est si familière pour prendre un peu l’aspect et l’allure des choses rêvées. Je m’avançais avec un plaisir dont parfois encore je retrouve les traces au fond de moi à travers cette magnifique étendue de mer, lumineuse et chaude, qui s’étend de l’Afrique aux pays orientaux. J’ai toujours aimé la Méditerranée ; maintenant que l’Océan se dépouille de mystère, comme toutes les parties d’un globe exploré par tant de machines bruyantes et d’êtres affairés, cette mer poétique par excellence, qui nous raconte une si grande variété de fables et d’histoires, a repris toute sa supériorité. Je me rappelle avec délices une matinée où j’aperçus dans le lointain les côtes de la Sicile. Toute sorte d’aimables visions me souriaient ; se tenaient-elles sur les rivages que j’apercevais à l’horizon, dans les rayons d’une clarté matinale, ou s’élevaient-elles simplement de mon cœur ? Je ne sais. Je suivais, par nécessité, un mode de voyage que je recommanderais volontiers à ceux qui se promènent dans ce monde, comme on se promène dans une salle de fête, pour le plaisir unique de leurs yeux : je n’abordais nulle part. Ainsi tout ce qu’embrassait mon regard conservait pour moi l’attrait de l’inconnu et de l’inachevé. C’est de cette vague et lointaine manière que j’ai aperçu les côtes de la Grèce. J’ai entrevu seulement un matin le profil élégant et pur d’Athènes. Quoique l’air fût léger, transparent et tout nuancé d’un rose joyeux qui aurait effarouché les lugubres spectres du nord, c’est un fantôme qui m’est apparu, mais un de ces fantômes amis du soleil, qu’évoquait l’esprit sans terreur des poètes antiques.

La seule ville que j’aie visitée en passant est une petite ville de l’Asie dont j’ai oublie le nom. Une absence complète de vent avait arrêté le brick sur lequel j’étais embarqué. Je profitai de ce calme pour me diriger, dans une chaloupe, vers la côte voisine avec un sous-officier de spahis. Ce n’est jamais sans quelque émotion que nous foulons une terre lointaine, et dont notre esprit s’est souvent inquiété. Je me trouvai au milieu d’un paysage qui n’avait rien des splendeurs africaines, et qui cependant ne manquait pas de charme. J’aperçus, au détour d’un chemin creux, un de ces personnages qui abondent encore aux pays orientaux où n’a point pénétré l’horrible réforme du costume turc ; c’était un vieillard à la longue barbe, coiffé d’un de ces immenses turbans chers au pinceau des vieux maîtres, qui