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chante avec plus de bravoure que de charme des lieux-communs de vocalisation.

On se demande, en voyant de telles œuvres se produire sur un théâtre aimé du public, qui possède un si riche répertoire, s’il n’y a plus de compositeurs en France, et a quelle haute protection M. Gabrielli a dû une faveur que rien ne justifie. Comment ! il n’y a que trois théâtres lyriques pour un peuple de trente-six millions d’âmes, et vous livrez l’Opéra et l’Opéra-Comique, subventionnés par l’état pour essayer de grandes choses, à des médiocrités obséquieuses qui viennent prendre la place des artistes élevés aux frais de la nation ! Ou bien donnez la liberté des théâtres, que réclament depuis si longtemps le sens commun et les besoins de l’art, ou faites un meilleur usage de l’autorité que vous vous attribuez de diriger la fantaisie, qui se passerait fort bien de votre contrôle. Le sort des jeunes compositeurs français est vraiment digne de compassion. Non-seulement ils n’ont pas, comme les peintres, les sculpteurs et les architectes, des commandes de travaux de la part du gouvernement, mais on les prive encore de la faculté de se produire sur les deux seuls théâtres subventionnés qui existent à Paris. À cet état de choses vraiment déplorable, nous ne voyons qu’un remède : la liberté des théâtres, la faculté laissée à chacun de chanter, de danser et de siffler comme il l’entendra, sous la simple réserve de ne pas blesser la décence publique. Toute autre mesure que la liberté des théâtres ne sera jamais qu’un palliatif, et les arts en France ne cesseront pas d’être entravés par le favoritisme et la bureaucratie.

Le Théâtre-Italien poursuit sa carrière sans grand éclat et sans grand bruit. Mme Borghi-Mamo, après trois ans d’exil qu’elle a passés à l’Opéra, est revenue à ses premières amours, et elle a fait sa rentrée par le rôle de Rosine du Barbier de Séville. On s’est aperçu aussitôt que ce n’est pas impunément que cette habile cantatrice a chanté dans une langue étrangère et pour un public qu’on ne corrigera pas de préférer les cris dramatiques aux sons qui charment l’oreille avant de toucher l’âme. Mme Borghi-Mamo a perdu quelque chose de ce timbre doux et mélancolique qui caractérisait sa voix de mezzo-soprano, et les embellissemens qu’elle a cru devoir ajouter au duo entre Rosine et Figaro ont paru à tout le monde d’un goût équivoque. Nous en dirons autant de l’air napolitain qu’elle chante pendant la leçon que lui donne Almaviva, et qu’il faudrait laisser aux marchands de musique qui débitent les chefs-d’œuvre de M. Offenbach. On sait que l’administration du Théâtre-Italien a commis l’incroyable étourderie de faire représenter le 26 novembre devant le public parisien Un Curioso accidente, sorte de pastiche en deux actes composé de morceaux divers empruntés aux opéras de la jeunesse de Rossini. Parmi les petits ouvrages qui ont servi à dégrossir la main de l’auteur du Barbier de Séville se trouve une opérette en un acte, l’Occasione fa il Ladro (l’occasion fait le larron), qui fut écrite à Venise en 1812. Un poète italien qui habite Paris, M. Berettoni, a conçu le projet de prendre cette pièce sous un titre nouveau et de l’enrichir de tous les morceaux qu’il plairait à sa fantaisie d’y intercaler perfas et nefas. Cet étrange oubli des convenances a fait sortir Rossini de sa réserve habituelle : il a protesté par une lettre adressée à M. Calzado, directeur du Théâtre-