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REVUE. — CHRONIQUE.

Le marquis de Lajatico avait dû s’expatrier en 1847 pour avoir osé proposer une constitution à un prince absolu, et il se voyait réduit encore une fois à s’exiler avec sa famille sous le gouvernement démocratique qui régnait en Toscane.

Une plus vive amertume patriotique était réservée au marquis de Lajatico dans ce second exil : c’était de voir le prince qui avait fini par refuser l’intervention du Piémont rentrer bientôt à Florence avec le secours des armées autrichiennes. La restauration du grand-duc se présentait pourtant sous de plus favorables auspices ; elle s’opérait par une réaction naturelle de l’opinion, par ce mouvement spontané du 12 avril 1849, œuvre du parti constitutionnel modéré. Le grand-duc lui-même, retiré à Gaëte, n’avait point hésité à ratifier au premier instant les promesses libérales faites en son nom. On crut du moins avoir sauvé le statut. La déception du marquis de Lajatico fut grande quand il vit les soldats de l’Autriche envahir malgré tout la Toscane, qui s’était pacifiée d’elle-même, et le grand-duc oublier ses promesses, suspendre d’abord, puis supprimer définitivement les institutions dont il avait garanti l’existence. Ceux qui avaient pris l’initiative et la direction du mouvement du 12 avril 1849 avaient cru ramener un prince constitutionnel et italien, ils avaient rendu le pouvoir à un archiduc plus autrichien et plus absolu que jamais. Le marquis de Lajatico, revenu, lui aussi, à Florence après ces orages, ne fit dès lors qu’une chose : il se réfugia dans son patriotisme froissé, et ne voulut point désespérer. Il était si peu révolutionnaire de son naturel que, malgré bien des mécomptes, il ne renonça point à la pensée de travailler encore à concilier l’intérêt dynastique et l’intérêt du pays. Oubliant ses griefs, surmontant des répugnances personnelles très fortes, bravant la froideur qui l’attendait dans les régions officielles, il ne laissa pas de conserver ses relations avec la cour. Les hommes d’opinions plus vives blâmaient quelquefois ces ménagemens ; ils voyaient une transaction presque coupable là où il n’y avait qu’un dévouement plus élevé au bien public. Le marquis de Lajatico n’allait pas à la cour pour son intérêt personnel, mais il gardait le droit de parler, même au risque de n’être point entendu, et par lui l’opinion constitutionnelle avait en quelque sorte son entrée au palais Pitti.

Tant qu’une certaine liberté de la presse survécut à la suppression de la constitution, le marquis de Lajatico s’en servit avec ses amis pour donner des avis prévoyans et sages avec autant de franchise que de modération. Lorsque l’opinion publique n’eut plus aucun moyen légal de se faire entendre, il resta étranger à tout acte qui aurait pu diminuer la valeur des efforts que ses relations avec la cour et avec les hommes du gouvernement lui permettaient de tenter. Il attendait l’occasion, et cette occasion vint au commencement de 1859. La fermentation était grande en Italie, et à Florence plus que partout. Des milliers de volontaires quittaient la Toscane pour aller servir dans l’armée piémontaise. Les soldats toscans eux-mêmes, quoique placés sous les ordres d’un général autrichien, ne cachaient point leurs sympathies pour la cause de leur pays. Des publications aussi fermes que modérées reproduisaient toutes les vibrations du sentiment national. Que faisait le grand-duc en présence de cette agitation des esprits ? Au pre-