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les projets de son ministre pour organiser des forces destinées à combattre les soldats de l’Autriche. Le grand-duc disait, il est vrai, dans ses proclamations, en paraissant se glorifier, que « les soldats toscans avaient été les premiers qui eussent marché à la conquête de l’indépendance sous les ordres du magnanime roi de Sardaigne ; » il excitait le pays et le parlement à prêter leur concours « à la sainte cause de l’indépendance italienne, pour hâter le terme victorieux de la guerre contre l’étranger ; » mais en même temps, en bon archiduc, il ne laissait point d’entretenir, à l’insu de son ministère, des relations suivies avec l’empereur. Il agissait en prince un peu trop pénétré de l’idée qu’il aurait à recourir de nouveau aux armées autrichiennes. Le marquis de Lajatico, comme ministre de la guerre, se trouvait placé, entre l’opinion, qui le pressait de réorganiser les forces militaires, et » le grand-duc, qui se croyait intéressé à retenir cet élan, à embarrasser tous les projets par des lenteurs. C’était l’impuissance.

Le résultat de ce système ne pouvait être douteux. Les passions extrêmes se firent une arme de l’inaction du gouvernement, des revers qui vinrent bientôt compromettre la cause de l’indépendance italienne. L’agitation ne fit que s’accroître en Toscane, l’émeute gronda à Livourne. Deux ministères sombrèrent coup sur coup, et le grand-duc se trouva conduit en peu de temps à accepter le ministère démocratique de MM. Guerrazzi et Montanelli, dont le premier acte fut la dissolution des chambres. Tout n’était point encore perdu cependant. Le parlement nouveau, issu des élections faites à cette époque, était loin de répondre aux espérances du parti démocratique : il reflétait dans son ensemble l’esprit de ce pays aux mœurs paisibles, et où domine toujours le goût de l’ordre. Le marquis de Lajatico, sondant résolument la situation, eût voulu que le grand-duc s’appuyât sur ces précieux élémens d’ordre qui étaient dans le parlement, dans la garde nationale, et rompît avec la révolution pour fonder un pouvoir franchement constitutionnel et italien, mais en même temps décidé à faire face à tous les désordres. L’entreprise était hardie et devait réussir. Aussi le marquis de Lajatico fut-il navré lorsque le grand-duc, au lieu de lutter et de vaincre, quittait Florence le 7 février 1849 et partait secrètement, laissant le pays sans gouvernement, sans direction. Il fit en ce moment l’œuvre d’un bon citoyen : il concourut de son vote à l’organisation d’un gouvernement de circonstance, le seul possible alors. Seulement il eut le courage de se présenter dans le parlement envahi par la populace et de demander que ce gouvernement de fait que la fuite du prince imposait fût constitué de façon à représenter et à rassurer le pays, au lieu d’être le gouvernement exclusif de la faction démocratique. Le marquis de Lajatico eut encore une lueur d’espoir après cette triste débâcle : ce fut en apprenant que le grand-duc, retiré dans une petite ville maritime de la Toscane, à San-Stefano, et entouré du corps diplomatique, avait accepté l’intervention piémontaise offerte par Gioberti, alors premier ministre de Charles-Albert. Il embrassa chaleureusement cette idée, dans laquelle il voyait le salut du régime constitutionnel en Italie, et il se hâta d’écrire au grand-duc pour lui offrir de nouveau ses services. Malheureusement cette lettre fut interceptée et valut à celui qui l’avait écrite d’être menacé d’un procès de trahison à Florence.