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nom reste attaché à toute une période de l’histoire de leur pays. Les derniers événemens ont donné à ce nom une notoriété plus étendue, plus européenne. Il y a longtemps que le marquis de Lajatico s’était fait une place distincte parmi les hommes sincèrement attachés à la cause de l’émancipation et de l’organisation libérale de la péninsule. Par la loyauté de son caractère et la droiture de son esprit, par son rang, par sa fortune, par les positions éminentes qu’il avait occupées, et par ses interventions dans des heures décisives, c’était un personnage politique fait pour représenter le patriotisme italien dans ce qu’il a de plus juste et de plus pratique. Il était difficile de ne voir que révolution et anarchie dans une cause si activement défendue par ce gentilhomme, propriétaire des plus beaux palais et des plus vastes domaines de Rome et de la Toscane, par ce diplomate fidèle aux traditions de toute une famille de serviteurs de l’état, par ce politique ami éprouvé de la monarchie et de la religion. Conspirateur, agitateur et même homme d’opposition, le marquis de Lajatico ne l’avait jamais été ; c’était simplement un honnête homme indépendant, sentant avec son pays et dont la vie a une moralité singulièrement opportune, car elle prouve que si la maison de Lorraine avait pu être sauvée à Florence, elle l’eût été par celui qui a fait le dernier effort pour concilier l’attachement au prince et le sentiment patriotique.

Ce diplomate italien qui vient de mourir, don Neri Corsini, marquis de Lajatico, était de la grande maison romaine des princes Corsini. Son père avait été sénateur de l’empire français, et fut plus tard sénateur de la ville de Rome. Son oncle Neri Corsini était à Vienne en 1815, chargé de défendre les intérêts de la Toscane, et depuis il resta longtemps ministre du grand-duc. Par ses alliances et par celles de ses enfans, le marquis de Lajatico tenait aux plus grandes familles, aux Rinuccini, aux Barberini de Rome, au marquis Gino Capponi, le doyen du libéralisme toscan, dont une de ses filles a épousé le petit-fils. Le second de ses fils est officier d’artillerie dans l’armée piémontaise, et a fait brillamment la dernière campagne. Et je ne dis ceci que pour rappeler encore comment cette cause italienne, qu’on représente quelquefois comme une imagination de sectaires, rattache naturellement à elle tout ce qu’il y a de plus élevé, de plus intéressé même à la paix publique et à la conservation sociale. Le marquis de Lajatico, dès sa jeunesse, était destiné par tradition de famille à servir l’état : après de brillantes études universitaires, il fut employé dans les bureaux du gouvernement, et devint secrétaire-général du ministère des affaires étrangères ; il fut ensuite conseiller d’état, major-général, enfin gouverneur civil et militaire de la ville de Livourne. C’est dans cette dernière et éminente position qu’il se trouvait, lorsque l’avènement de Pie IX au pontificat en 1846 ouvrait pour l’Italie l’ère d’une régénération presque inattendue.

Il ne faut pas l’oublier, c’est Pie IX qui le premier a dit à l’Italie contemporaine de se lever et de reprendre foi en ses destinées, et on sait ce que cette magique parole réveilla d’espérances. Partout à la fois, à Rome, à Florence, à Pise, à Bologne, à Turin, les populations se ranimaient, tandis que les gouvernemens commençaient à s’adoucir. Ce fut le temps des démonstrations et des manifestations populaires. Livourne, l’une des plus turbulentes