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et loyal patriotisme éveille partout en Europe de nobles sympathies. Ce vétéran de la cause italienne vient de publier une brochure : La politique et le droit chrétien au point de vue de la question italienne. Cet honnête et important écrit devra être compté par le congrès comme un des élémens les plus sérieux de l’instruction que cette assemblée sera chargée de dresser. Les évêques français pourraient trouver dans l’ouvrage de M. d’Azeglio d’intéressantes révélations sur les dangers que fait courir au sentiment religieux en Italie l’état actuel de la domination temporelle, et la preuve qu’au lieu de protester contre d’urgentes réformes, la hiérarchie catholique ferait bien mieux d’exhorter le pape à une transaction réclamée par les intérêts les plus élevés, de la religion.

Si les amis de la liberté avaient besoin de recevoir des leçons de patience, ils en trouveraient d’éloquentes dans les tristes scènes dont les États-Unis ont été récemment le théâtre. Un vieux fermier puritain, le malheureux Brown, voué à la cause de l’abolition de l’esclavage avec cette ténacité et cette énergie religieuse que les émigrans du XVIIe siècle ont transmises à leurs descendans, exaspéré d’ailleurs par les violences sanguinaires et spoliatrices exercées dans le Kansas, où il était établi, avait rêvé de porter un coup à l’esclavage en délivrant les noirs de la Virginie, en assurant leur évasion, et en les conduisant sur le territoire canadien. Ce malheureux violait sans doute, par une telle entreprise, les lois positives de son pays ; ce qui était pire encore, il exposait les états du sud aux horreurs d’une guerre servile. Il avait échoué ; il était tombé blessé avec ses fils aux mains des autorités virginiennes. Jugé, il avait reconnu lui-même avec une mâle droiture que la loi ordonnait son supplice ; mais de nombreuses circonstances, la sainteté de ses intentions, la simplicité de son esprit, sa ferveur religieuse, sa franchise, son courage, les maux qu’il avait soufferts, ses enfans sacrifiés, le recommandaient à la clémence publique. Tous les nobles cœurs des États-Unis s’étaient émus en sa faveur. Les meetings et les congrégations religieuses demandaient sa grâce. Des milliers de voix proclamaient que sa mort serait une honte pour l’Amérique ; d’autres glorifiaient et sanctifiaient d’avance son supplice. « Voyez le nouveau saint, s’écriait à Tremont-Temple le grand écrivain américain Emerson ; nul n’a été plus pur et plus brave parmi ceux que l’amour des hommes a jamais conduits à la lutte et à la mort ! Un nouveau saint qui attend encore son martyre, et qui, s’il le souffre, rendra le gibet aussi glorieux que la croix ! » Rien n’y a fait : les Virginiens ont été impitoyables, et ont effrayé et indigné le monde par leur implacable inhumanité. Brown a été pendu. Les partisans de l’esclavage ont cru qu’il leur fallait cette victime ; ils n’ont pas compris qu’ils donnaient au contraire un martyr à la cause de l’affranchissement. Déjà en effet l’horreur et la fatalité de ce supplice rejaillissent sur le parti de l’esclavage. De nombreux démocrates se détachent de cette cause, qu’ils soutenaient par la plus inique des tactiques politiques, et il semble que le congrès américain, en attendant des luttes favorables à l’affranchissement, tiendra du moins à honneur déplacer à sa tête un président qu’aucune complicité n’unisse avec le parti qui a sur lui le sang de Brown.

Peut-on prendre garde, au milieu de l’émotion nouvelle que les affaires