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table service au public et au pouvoir en exposant aujourd’hui les causes sérieuses de notre embarras, car c’est le meilleur moyen de signaler le vice et le péril d’un tel système. À nos yeux, il est d’un intérêt public éminent que la véritable pensée du pouvoir sur les grandes questions politiques engagées soit clairement exprimée. L’intérêt des affaires, nous le savons, ne permet point aux gouvernemens de faire connaître leurs vues à toute heure ; mais lorsqu’un gouvernement juge utile d’éprouver ses desseins sur l’opinion publique, il ne faut pas qu’il y ait d’incertitude et d’ambiguïté dans sa pensée, pas de méprise possible sur la forme où il juge à propos de la produire. Nous ne craindrons pas de le dire. : il y a là pour un gouvernement plus qu’une mesure de prudence, il y a un devoir d’honneur. Pour prendre un exemple dans la question actuelle, dans la question romaine et italienne, que d’intérêts élevés, respectables, pressans, sont attachés à l’interprétation de la politique française, que l’on doive chercher oui ou non cette interprétation dans une brochure ! Il y a l’intérêt des grands états européens convoqués pour préparer de concert avec nous l’arrangement des affaires d’Italie ; il y a l’intérêt du monde catholique en général, du clergé et des catholiques français en particulier, dont nous ne partageons pas les préjugés à l’endroit de Rome, mais dont nous ne pouvons méconnaître que la voix a droit de se faire entendre dans le règlement d’une question qui prend à leurs yeux la gravité d’une question de liberté de conscience ; il y a l’intérêt des populations italiennes, qu’une impulsion mal comprise de la France pourrait pousser intempestivement à une imprudente exaltation d’espérances ou précipiter dans le désespoir ; il y a enfin, quoique infimes, les intérêts du capital et du travail, les intérêts des affaires, si sensibles aux accidens de la politique. Nous ne nous tromperons pas en disant que ces intérêts divers ressentent le même embarras que nous éprouvons nous-mêmes à propos de la brochure. Ils sont les uns et les autres réduits à une situation peu digne et peu sûre : peu digne, car il est triste d’être obligé, pour régler sa conduite, de se perdre en commentaires sur une expression problématique de la pensée du gouvernement ; peu sûre, car que faut-il pour changer en déception absolue les plus plausibles inductions qui se puissent tirer d’un écrit anonyme ? Un désaveu, une note explicative du Moniteur, rien de plus.

La difficulté de se prononcer est grande pour des esprits sérieux et des hommes de bonne foi : qu’on en juge. Si nous prenons pour guides les actes officiels auxquels ont donné lieu les affaires d’Italie, il ne nous est pas permis de voir dans la brochure la pensée du gouvernement français. D’abord le Moniteur nous a maintes fois avertis qu’il était le seul organe du gouvernement, et qu’aucune publication n’avait qualité pour partager avec lui cette fonction. Le gouvernement s’est d’ailleurs à plusieurs reprises expliqué sur les affaires d’Italie en des termes qui ne sauraient se concilier avec les vues présentées dans la brochure. En commençant la guerre, l’empereur n’a-t-il pas dit : « Nous n’allons pas en Italie fomenter le désordre ni ébranler le pouvoir du saint-père, que nous avons replacé sur son trône ! » Dans sa circulaire aux évêques, le ministre des cultes vers la même époque ne repoussait-il pas la pensée que l’intégrité du pouvoir du saint-siège pût être compromise par la guerre d’Italie ? Peu de temps après, à Rennes, à propos