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vive ni une longue sensation. Les conclusions qu’elle donne ne sont point une nouveauté. De nombreux écrivains libéraux se sont efforcés déjà de démontrer les incompatibilités du pouvoir spirituel de la papauté avec les conditions d’un bon gouvernement dans les états soumis au pouvoir temporel du saint-siège ; les modérés, ceux qui se contentent de marcher avec les faits, ont demandé que la séparation de la Romagne, déjà accomplie, fût sanctionnée par l’Europe ; les plus modérés même se fussent tenus pour satisfaits d’un gouvernement laïque établi dans les Romagnes sous forme de vice-royauté ou de vicariat, et réuni au saint-siège par une simple vassalité. Si la brochure eût été l’œuvre d’un écrivain ordinaire, elle n’eût apporté qu’une adhésion particulière de plus aux opinions que nous venons d’indiquer : elle n’eût point excité une grande attention ; tout au plus dans le camp libéral eût-on raillé l’écrivain de la singulière contradiction sur laquelle sa thèse est bâtie, puisqu’il veut prouver à la fois, et que le pape doit nécessairement être souverain temporel, et que le pape ne peut pas être un bon souverain ; on eût ri surtout de ce type de Romain, de ce moine contemplateur et artiste, fureteur d’antiquités et amateur de processions, cicérone de musées et diseur de patenôtres, de ce civis romanus retranché du domaine de l’activité humaine : étrange fantaisie, où l’auteur résume les félicités qu’il destine avec une si naïve inconséquence aux habitans de Rome. Peut-être eût-on douté de la sincérité du catholicisme qu’il affecte tout en se cachant sous la cagoule de l’anonyme. On eût fait honneur à l’écrivain en s’occupant ainsi de son œuvre, et l’on eût pris congé de lui sans déplaisir. La chose est bien différente si l’on doit lire dans la brochure la pensée d’un gouvernement. L’opinion du publiciste isolé était peu de chose en elle-même ; elle ne valait que par la force et l’élévation du talent employé à l’exposer et à la défendre. C’est tout le contraire pour un écrit gouvernemental : les lacunes ou les chocs du raisonnement, la bizarrerie des conceptions, n’enlèveraient point à un tel écrit son immense portée ; les conclusions pratiques restent en effet malgré tout, et sont alors l’essentiel. Si, par exemple, la brochure qui nous occupe avait l’origine qu’on lui prête, elle nous informerait des directions nouvelles de la politique française ; elle nous annoncerait que la France est disposée à prendre vis-à-vis du congrès le parti des faits accomplis en Italie, le parti de la Romagne contre une restauration papale, le parti des duchés contre le rétablissement des archiducs ; elle nous apprendrait que la France demanderait au congrès la révision des engagemens de Villafranca. Une si grave signification n’efface-t-elle pas l’effet d’une argumentation mal enchaînée ou de quelques conceptions maladroites ?

Nous revenons donc à la question : la brochure le Pape et le Congrès est-elle une production individuelle, ou exprime-t-elle la pensée du gouvernement ? L’on trouvera peut-être que c’est pousser trop loin la naïveté ou la subtilité que de poser une question semblable, et que c’est avoir l’esprit mal fait que ne pas accepter bonnement et simplement ce singulier écrit avec le sens que le public y attache partout en France et à l’étranger. À un tel reproche, notre réponse est facile. L’embarras que nous manifestons, nous l’éprouvons sincèrement, et si cet étonnement des brochures anonymes pouvait devenir un procédé gouvernemental, nous croirions rendre un véri-