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pour ménager les produits comestibles obtenus des animaux, que les Chinois conservent les œufs vieux ou frais à l’aide de la saumure (solution saturée de sel) ou du sel marin cristallisé ; ils préservent même d’une putréfaction trop avancée les œufs qui ont déjà subi une altération notable en les enveloppant dans une pâte de chaux, de cendres et d’eau, qui bientôt forme une incrustation protectrice : ce sont autant de vivres dont les jonques chinoises approvisionnent les navires.

Les célèbres nids d’hirondelles nous offrent un dernier exemple de cette ingénieuse aptitude qui porte la race chinoise, sous l’influence d’un climat spécial, à varier et à multiplier indéfiniment les substances alimentaires. Ces nids comestibles, dont la nature était jusqu’à ce jour demeurée incertaine, ont été tour à tour attribués par un grand nombre de voyageurs et de naturalistes célèbres, soit à une écume de mer tenace, provenant des semences de la baleine, ramassées par ces hirondelles sur les rochers[1], soit à des algues gélatineuses, à des lichens, soit encore à du suc gastrique, à des mélanges de zoophytes, de frai de poisson, ou à des mucus[2]. Il est constant aujourd’hui que les nids comestibles d’hirondelles sont formés par une substance muqueuse d’une remarquable abondance, mucus tout spécial sécrété au temps des amours de ces petits oiseaux. Importés bruts des îles de la Sonde, les nids de salanganes sont à Canton l’objet d’un minutieux nettoyage à la main ; classés par ordre de pureté et de blancheur, ils coûtent sur le marché de cette ville de 100 à 300 francs le kilo. Une qualité d’une exceptionnelle blancheur revient à 773 francs rendue dans Paris, où elle se vend 1,000 francs le kilo[3]. On prépare ces nids en les maintenant dans l’eau ou le bouillon à la température de 100 degrés pendant deux heures ; ils sont alors réduits à des filamens translucides représentant les assises du nid et disséminés dans une solution mucilagineuse, offrant une consistance analogue à celle des ailerons de requins préparés. Il est inutile peut-être d’ajouter que le haut prix de cet aliment de luxe ne saurait être justifié par une saveur extraordinairement agréable, moins encore par ses propriétés nutritives exceptionnelles. On ne peut l’expliquer que par la ferme confiance des Chinois et des Orientaux en général dans les vertus aphrodisiaques attribuées à cette substance alimentaire.

  1. Willughby, 1676, Ornith. « Ex spuma maria basin scopulorum alluentis tenacem quandam materiam colligunt sive ea baloenarum seu aliorum piscium sit semen, ex qua suos nidos aedificant. »
  2. Voyez les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, 1859, p. 521.
  3. Pour le potage d’une personne, il faut employer un nid et demi pesant 12 grammes et coûtant, dans ce cas, 12 francs.