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fumier les chrysalides des vers à soie restées dans les cocons après l’étouffage : ces chrysalides, rôties à la poêle comme des marrons, constituent un mets qui passe pour agréable dans le Céleste-Empire. Sur les marchés de quelques villes chinoises, à Canton même, on observe encore, parmi les alimens que fournit le règne animal, des grenouilles et des crapauds vivans ou dépouillés et mis en paquet, des rats salés ou desséchés, et jusqu’à de grosses chenilles. Quant aux lombrics ou vers de terre, ils ne font point partie des comestibles mis en vente ; seulement on assure que, durant les disettes, ils sont au nombre des insuffisantes ressources péniblement recherchées par les malheureuses populations des localités que désolent ces périodiques famines[1]. Des produits plus recherchés sont ceux de la pêche[2], parmi lesquels se rencontre le fretin des poissons, que les Chinois réduisent en hachis très menu et mélangent sous cette forme à d’autres alimens[3].

À tant d’excentriques moyens d’accroître et de ménager les ressources alimentaires du peuple chinois, il faut ajouter les fours à incubation artificielle, réglés avec les plus grands soins, comme les appareils de magnaneries. Il en est aux îles de Chusan qui contiennent plus de 5,000 œufs ; on s’en sert principalement pour faire éclore des œufs de canards. Ces fours sont construits d’ordinaire auprès d’un canal ou d’un cours d’eau, afin que les petits soient facilement dirigés par quelques canes vers leur élément favori. De cette fructueuse pratique est née sans doute l’habitude, d’abord d’utiliser des œufs dont l’incubation se trouvait accidentellement interrompue, puis d’introduire dans l’alimentation des œufs dont on développait à volonté les germes par une incubation plus ou moins prolongée, suivant la fantaisie des consommateurs, et jusqu’à produire un petit poulet muni de tous ses organes. On ne saurait reprocher du moins à une si jeune volaille de n’être pas assez tendre. C’est encore par une conséquence de leur sollicitude extrême

  1. Il faut remarquer d’ailleurs qu’on trouve en Chine quelques denrées alimentaires moins inconciliables avec le goût européen, des perdrix, des faisans, des bécasses, etc.
  2. Un des procédés curieux et assez productifs de la pêche en Chine consiste dans l’emploi de cormorans bien dressés, placés à l’avant des bateaux, mais qui cependant avaleraient toujours leur proie, pêchant ainsi pour leur propre compte, si on ne leur faisait forcément comprendre le sic vos non vobis en leur passant au cou un anneau qui arrête les poissons au passage et permet aux hommes de s’en emparer. On ne laisse pas toutefois le cormoran au dépourvu : il reçoit de temps à autre les rebuts de la pêche.
  3. Le seul épargné de tous ces produits de la pêche chinoise est le cyprinus auratus triloba. Ce poisson bien connu, remarquable par sa vive coloration rose à reflets dorés, comme par sa queue étalée en panache, sert de parure aux salons, où il est conservé dans des vases de porcelaine remplis d’eau limpide, et fait aussi l’ornement des jardins, où il peuple d’élégans viviers.