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commerçantes qui se chargeaient d’établissemens en pays lointains. Ces interventions bénévoles ont fait aux établissemens commerciaux plus de mal que de bien. Elles ont souvent eu pour effet de détourner de ses canaux naturels le cours de la richesse et de l’activité nationales, et de faire vivre quelques jours d’une vie factice et stérile des établissemens sans avenir. Les entreprises qui ont véritablement prospéré ne leur ont jamais dû leur succès. Toujours et partout les établissemens commerciaux ont dû conserver ce caractère de spontanéité sans lequel le commerce verrait tarir les deux sources qui le font vivre : le crédit et le capital. C’est ce capital, aliment à la fois et produit du commerce, qui, se transportant de lui-même par l’appât du bénéfice, et jouant ainsi le rôle des héros des temps antiques, des Cadmus et des Romulus, a choisi l’emplacement des cités à bâtir, des ports à creuser, a percé les forêts et remonté les fleuves. C’est lui aussi qui a disposé suivant ses convenances le régime intérieur des sociétés nouvelles qui lui ont dû l’existence. C’est lui qui a chassé devant lui les naturels paresseux de l’Amérique pour les remplacer par des travailleurs plus actifs. Aux Indes et dans les grandes îles de l’Océan asiatique, il s’est borné à dompter les indigènes en les employant. Il a régné sur ces populations soumises, souvent en son propre nom, par l’organe des grandes compagnies qu’il avait fondées, se faisant, pour le besoin des circonstances, législateur et même guerrier, et il n’y a pas longtemps qu’ayant fait toute son œuvre, il a abdiqué à Java ou à Bombay entre les mains du souverain politique.

La pensée de faire de l’Algérie une grande colonie commerciale, une de ces colonies qui marchent toutes seules à l’aide des capitaux privés, et qui, si elles n’enrichissent pas toujours le trésor public, alimentent l’industrie et par conséquent la richesse nationale de la mère-patrie, était certainement très séduisante ; mais il y avait à la réaliser une difficulté considérable, c’est, encore un coup, que ces colonies-là, on ne les fait pas, elles se font. Ce sont des agglomérations qui se groupent instinctivement autour d’une source naturellement ouverte de profits et de richesses, comme la verdure croît au bord des fleuves, et cette source consiste dans l’existence d’un ou plusieurs produits appartenant exclusivement au sol de la colonie, que le commerce de la métropole a par là même un intérêt direct à venir chercher, en portant en échange les richesses plus savantes que fabrique une civilisation plus avancée. C’est le rôle qu’ont joué les épices dans les Indes, les fourrures rares au Canada, dans presque tous les pays du Nouveau-Monde les cultures tropicales ou les métaux précieux. Lorsque de pareils produits existent, sont exploités et connus, un courant de commerce, par