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des apparences extérieures plus favorables à la vente qu’ils ont inventé certains mélanges et des manipulations spéciales.

Nous avons essayé d’expliquer les procédés de dessiccation des feuilles de thé par une comparaison avec nos procédés de fanage. Les falsifications auxquelles on soumet le produit de l’arbuste chinois peuvent être également rapprochées de quelques autres essais d’altérations frauduleuses auxquelles sont soumises diverses substances alimentaires d’un usage général. Nous ne citerons que deux exemples. On sait que, traités suivant les méthodes de conservation usuelles, les jeunes haricots verts simplement chauffés à 100 degrés en vases hermétiquement clos, les cornichons confits au vinaigre et la variété des prunes de reine-Claude confites au sirop alcoolisé, éprouvent dans leur nuance naturelle un léger changement qui les fait virer au vert sensiblement jaunâtre. Les fabricans s’efforcèrent d’abord de conserver le plus possible à ces produits la coloration normale à l’état frais. Voyant bientôt le goût du public se prononcer en faveur de ces produits de plus belle apparence, ils essayèrent d’aller plus loin, et bientôt présentèrent ces fruits doués d’une nuance verte plus vive qu’à l’état naturel. Dès lors aussi les consommateurs les préférèrent, sans s’inquiéter des moyens plus ou moins insalubres employés parfois pour produire ces belles teintes artificielles, lors même que, pour un certain nombre des consommateurs, il était avéré que souvent l’oxyde de cuivre devait concourir à procurer la coloration exigée.

Dans une préparation d’un genre tout différent, les anchois soumis à la salaison et expédiés des bords de la mer dans toutes les villes, on avait observé parfois une légère teinte rouge provenant de petits êtres microscopiques, animaux et végétaux[1]. Bientôt la coloration rose, dont on ignorait l’origine, devint pour les consommateurs l’attribut nécessaire de ces conserves et un indice de leur bonne qualité. Ici le préjugé, à l’insu du public, pouvait être assez juste, car les petits êtres rougeâtres qui flottent dans les eaux des salines du midi surnagent malgré eux à l’instant où la concentration du liquide atteint son maximum et en recouvrent la superficie d’une sorte de crème rouge qui exhale l’odeur légère de la violette. Dès lors, aussi le sel cristallise, c’est le plus pur qui se précipite le premier, entraînant avec lui les petits corps adhérens à sa surface. Ceux-ci sont donc les témoins du fait de la première cristallisation, et par là même deviennent une garantie au moins de la bonne qualité du sel. Malheureusement cette garantie est devenue illusoire depuis que

  1. Le végétal globuliforme rouge nommé protococcus salinus et de petits crustacés branchiopodes appelés artemia salina laissant voir par transparence la plante microscopique qu’ils ont avalée.