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dessiccation et l’exportation des précieuses feuilles d’où l’on tire le breuvage si recherché en Chine et dans l’Europe du nord, le rôle alimentaire de la plante aromatique, marquent l’ordre et les divisions naturelles d’une étude dont le but principal serait de rechercher l’influence que peut exercer l’usage du thé sur l’hygiène et la salubrité publique.


I

C’est dans la famille des camellias[1] que les botanistes rangent la plante originaire de la Chine appelée tcha dans le Céleste-Empire, tsjaa au Japon, tea en Angleterre, et thé en France. Pour le consommateur, il n’existe guère que deux thés, le vert et le noir, qui cependant ne diffèrent l’un de l’autre que par les effets des procédés de conservation. La science distingue le thea viridis ou thé vert (c’est la variété que l’on cultive le plus généralement) du thea bokœa, recueilli, comme l’indique son nom, dans la province chinoise de Bohee, et du thea latifolia ou thé à larges feuilles. C’est au savant voyageur Kaempfer qu’on doit les premières notions exactes sur cette plante, vaguement désignée comme une herbe par Leinschotten, omise par Tournefort dans sa classification méthodique, et classée à son vrai rang, d’après Kœmpfer, par Desfontaines, Ventenat, de Jussieu, Richard et de Mirbel[2]. Quant aux propriétés aromatiques du thé, aux moyens d’en obtenir une suave et bienfaisante boisson, la Chine et le Japon les connurent à des temps très reculés, et en livrèrent aussitôt le secret à l’Inde, à l’Arabie et à la Perse. L’usage du thé ne se répandit au contraire que fort tard en Europe. C’est dans le cours du XVIIe siècle que l’on commença d’y apprécier, grâce aux armateurs hollandais[3], la boisson tirée de la plante chinoise.

  1. Ainsi nommés du missionnaire moravo Camellus.
  2. Cette classification offrait quelques difficultés par suite des variations qui se produisent sous certaines influences dans la plante, dont les organes foliacés offrent d’ailleurs diverses particularités remarquables. Ainsi, dans une étude micrographique faite en commun, nous avons découvert, M. de Mirbel et moi, une structure propre aux feuilles persistantes, et qu’on retrouve dans celles du thea viridis quand elles sont arrivées à leur complet développement. Des organismes nouveaux, sortes de renforts qui traversent le parenchyme, s’étendent par degrés de l’une des faces du limbe vers l’autre, et offrent l’aspect de cellules cylindroïdes irrégulières, étendant de nombreuses ramifications sous l’épiderme de chacune des deux faces des feuilles du thea viridis. Nous avons dessiné ces singuliers organes, agrandis cinq cents fois par le microscope, ainsi que les glandes spéciales disséminées en grand nombre dans les mêmes feuilles et qui recèlent la sécrétion de la précieuse essence, cause primitive de l’arôme du thé. Voyez le tome XXII des Mémoires de l’Académie des Sciences.
  3. L’habileté des Chinois vis-à-vis des Européens ne brilla guère dans leurs premières opérations commerciales sur le thé. Les négocians néerlandais, voulant obtenir le précieux produit par voie d’échange, expédièrent en Chine une certaine quantité de feuilles sèches de sauge, dont l’infusion odorante était renommée en Hollande pour combattre diverses affections morbides. En retour de trois livres de feuilles de sauge, dont ils durent médiocrement goûter la saveur, les Chinois donnèrent une livre de leur thé aux spéculateurs européens, et ceux-ci, bien avisés, vendirent de 30 à 100 fr. cette livre de thé, qui leur revenait à 50 centimes environ.