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tait surtout le peintre des détails de la nature ; il excellait à représenter les animaux et les plantes ; il aimait à les étudier un à un, comme un collectionneur qui range dans ses galeries de précieux spécimens du monde physique ; un cheval, un arbre, un rocher, il n’en demandait pas davantage, cela lui suffisait pour exécuter une œuvre intéressante. Goethe, grand collectionneur aussi de faits et d’observations de toute sorte, avait pu développer auprès de Tischbein ces dispositions de son esprit ; c’est du moins une conjecture très sensée de la critique moderne, et je n’ai pas été médiocrement surpris de voir Henri Stieglitz, dès 1825, indiquer ce rapprochement sans hésiter. « Toute la matinée, jusqu’à midi, écrit-il à Charlotte, je suis resté avec Tischbein. L’excellent homme mérite bien les témoignages que Goethe lui a rendus. Il y a bien peu de peintres, parmi les modernes, qui aient saisi comme lui la nature, qui aient guetté ses manifestations les plus originales ; et avec quel génie il sait représenter des choses insignifiantes en apparence, qui prennent entre ses mains un intérêt inattendu ! Un arbre, une branche, une feuille, une pierre, dont la forme présente tel ou tel aspect, un oiseau qui vole, un lièvre ou un chien qui s’élance, l’âne qui chemine humblement ou le cheval aux fières allures, fournissent une riche matière à son pinceau. Ses animaux surtout méritent une mention à part, c’est vraiment la vie même. Certainement Goethe, inspiré de bonne heure par un besoin semblable d’étudier l’individu, a dû tirer un grand profit de son intimité avec un tel homme. Cela résulte aussi de tout ce que l’aimable vieillard m’a raconté de leur vie à Rome : oh ! combien de confidences qui me laissaient pénétrer dans leur âme ! tu penses si j’étais tout oreilles ! C’est ainsi qu’il me donna de très curieux détails sur la manière dont Goethe composa, son Iphigénie ; il était souvent dans une agitation extrême, il allait et venait, puis tout à coup il s’élançait hors de chez lui, il détruisait des parties entières de son œuvre, il les refaisait, il créait enfin dans le trouble passionné de son âme cette œuvre qui nous remplit d’admiration et de sympathie, cette œuvre qui égalE les plus beaux modèles de l’art grec, et qui, unissant à la perfection plastique la profondeur des sentimens, est certainement la première parmi les créations de ce genre ; c’est la fleur de la beauté grecque et la fleur de la pensée allemande merveilleusement unies. »

Occupé ainsi de poésie et d’art, de musique et de peinture, de métaphysique et de philologie, Henri Stieglitz grandissait de jour en jour ; mais c’était le critique et non le poète qui se développait chez lui. Toutes les fois qu’il avait à montrer l’étendue de son savoir et la sûreté de son jugement, il était assuré du succès. Le jour vint de subir les épreuves qui devaient lui marquer sa place dans les rangs de l’enseignement public ; il fut interrogé par les plus illustres