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comme un disciple bien-aimé, il trouvera le même empressement auprès des savans et des philosophes de Berlin. Le grand Hegel lui témoigne une tendresse paternelle ; le géographe Charles Ritter, les maîtres de la philologie, Boeckh et Buttmann, lui ouvrent leur maison. Il est invité à toutes les fêtes de l’intelligence. Peu de temps après son arrivée à Berlin, le 2 juillet 1824, la société philologique allemande célébrait l’anniversaire séculaire de la naissance de Klopstock. Ce n’est pas d’hier, on le voit, que nos voisins aiment à se rappeler les dates fécondes de leur XVIIIe siècle et qu’ils consacrent pieusement leurs souvenirs. En 1824, en 1849, en 1859, le jour qui, cent années auparavant, avait donné à l’Allemagne l’auteur de la Messiade, l’auteur de Faust, l’auteur de Guillaume Tell, a pris rang parmi les fêtes nationales. Le 2 juillet 1824, Henri Stieglitz assistait donc à cette fête de Klopstock, et il en traçait un curieux tableau à la confidente de toutes ses impressions. Chants et discours, comme on pense, n’y manquèrent pas. Ce qui intéressa le plus notre poétique voyageur, ce fut la présence de quelques vétérans de la science et des lettres, anciens amis de l’illustre mort. Il y avait là le célèbre astronome Bode qui avait vécu de longues années avec Klopstock, et c’était plaisir de lui entendre conter maintes anecdotes sur le patriarche de la poésie allemande. Il y avait aussi le vieux Wolke, un maître dans la science des langues germaniques, un prédécesseur des Grimm et des Lachmann, qui avait été lié d’une amitié étroite avec le chantre d’Abbadona. Ces fêtes de l’esprit se renouvelaient sans cesse pour Henri Stieglitz. Berlin offrait alors le spectacle d’une vie littéraire complète : d’un côté, une forte université où professaient les Hegel, les Boeckh, les Ritter, les Buttmann ; de l’autre, une pléiade de poètes, d’humoristes, les uns déjà célèbres, les autres qui se produisaient avec un éclat tout juvénile. Stieglitz était venu à Berlin pour y achever très sérieusement ses études de philologue, et aussi pour s’initier à cette philosophie de Hegel, regardée alors par bien des esprits d’élite comme le dernier mot de la science humaine. Il vivait donc en étudiant, il suivait les cours, il rédigeait des cahiers de notes, mais il fréquentait aussi les représentans de la littérature libre. Au sortir d’une leçon de Hegel, il rencontrait l’ingénieux poète Chamisso, il faisait connaissance avec Hoffmann, il assistait aux premières incartades d’Henri Heine, il s’entretenait avec Wilhelm Schlegel, avec le poète romantique Lamothe-Fouqué, avec Alexandre de Humboldt. Tous ces talens si divers, il les jugeait d’un regard pénétrant et sûr. Cette sagacité est vraiment digne de remarque chez un esprit si jeune encore ; on voit ce qu’Henri Stieglitz aurait pu faire si, au lieu de s’obstiner à la poésie, il s’était résigné à suivre sa vocation véritable. Il y avait en lui l’étoffe d’un grand critique, d’un sympathique historien