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LES DRAMES
DE
LA VIE LITTERAIRE

HENRI ET CHARLOTTE STIEGLITZ

Briefe von Henrich Stieglitz an seine Braut Charlotte, 2 vol., Leipzig 1859.



Il y a aujourd’hui vingt-cinq ans, un événement mystérieux et tragique produisit une sorte de stupeur au sein de la société allemande. Une jeune femme, d’une rare beauté, d’un esprit merveilleux, enthousiaste des arts et de la gloire, s’était frappée au cœur d’un coup de poignard, et sereine, impassible, elle était morte, la main sur sa blessure, sans qu’un cri de douleur fût sorti de sa poitrine. Mariée depuis six ans à un poète qui avait donné à ses débuts d’assez belles espérances, elle l’aimait tendrement, elle en était tendrement et ardemment aimée. Pourquoi donc cet acte de désespoir ? Y avait-il quelque drame caché dans cette existence qui semblait si heureuse ? Les conjectures ne manquèrent pas, comme on pense ; mais la folie de la pauvre suicidée était d’une nature si particulière que personne n’aurait pu la deviner. La femme du poète, on le sut bientôt par ses confidences suprêmes, avait voulu réveiller par une secousse horrible l’imagination engourdie de son mari. Ame généreuse et vaillante, elle avait vu celui qu’elle aimait tomber dans une sorte de mélancolie inerte ; elle se disait que le mariage, la vie ré