Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/161

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les luttes futures sur mer, où l’abordage jouera un grand rôle, ces hommes auront sur les ponts des navires, devenus de véritables champs de bataille, tout l’entrain et la solidité des troupes de terre. Aujourd’hui d’ailleurs les intérêts de la France ne l’appellent-ils pas vers l’extrême Orient ? La Chine, la Cochinchine, le Japon, Madagascar sont des pays nouveaux à ouvrir et à explorer. La marine a donc dans l’avenir un rôle immense qu’elle ne pourra remplir seule que lorsqu’elle disposera de toutes les ressources possibles pour combattre souvent sans réparations, débarquer sur les côtes et marcher dans l’intérieur avec ses propres hommes. L’on évitera ainsi la perte énorme de monde que l’on subit lorsqu’on entasse sur des navires et pour une expédition lointaine des soldats peu habitués à la mer, à la nourriture du bord et aux lointains voyages. Tôt ou tard enfin l’isthme de Suez sera percé, et notre marine de commerce pourra doubler ses arméniens avec d’autant plus de facilité que la plus grande partie de ses matelots lui resteront, avec d’autant plus de sûreté aussi qu’elle sera mieux protégée partout, si une guerre maritime venait à éclater.

En indiquant rapidement les avantages de cette nouvelle marine, je n’oublie point que les institutions qui régissent la flotte nous ont assuré et nous assurent encore une position maritime respectable. Ces institutions s’appliquaient admirablement à un ordre de choses qui n’existe plus. Il y avait un équilibre parfait entre nos ressources en matelots et le nombre de bâtimens à flot que l’on pouvait rigoureusement armer avec ces hommes spéciaux. D’ailleurs, si l’on examine le régime actuel de toutes les marines, on les voit toutes agir d’après le même système. Les Anglais ont comme nous une flotte qui se recrute exclusivement parmi ses nombreux marins ; mais, comme nous aussi, ils subissent la nécessité de congédier fréquemment leurs équipages. C’est une grande cause de faiblesse à côté d’énormes déploiemens de force, car le départ de ces hommes instruits fait perdre aux escadres cette supériorité constante qu’elles doivent avoir dans toutes les circonstances et à tous les momens de paix ou de guerre. Cette manière de procéder dans les deux marines, pour la formation des équipages de la flotte, ressemble à ce qui se passe en Prusse pour l’armée : elle est peu nombreuse en temps de paix, et la landwehr vient la compléter lorsque les circonstances l’exigent ; mais, tout en étant toujours disponible, cette réserve n’est ni exercée ni équipée à un moment donné. Or dans le siècle où nous vivons, où tout est une question de vitesse, où les coups décisifs se portent avec rapidité, c’est un défaut capital pour une marine de guerre que de ne pas avoir un personnel permanent. Puisque la profession de marin n’est plus indispensable à