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leur bord, et dans des chalands qu’elles eussent remorqués, assez de soldats pour tenter un coup de main hardi, enlever la ville à l’abordage en entrant par le port. Elles étaient encore un moyen de transport bien précieux pour l’armée, déjà loin du Mincio et séparée de la dernière station du chemin de fer par une distance assez grande pour compromettre la régularité de ses approvisionnemens en hommes, vivres, munitions, et l’évacuation de ses malades et blessés. Peschiera pris, l’amiral se serait encore servi de ses puissans engins de destruction contre Mantoue. Si les barrages du Mincio n’eussent pas permis aux bâtimens de passer tout entiers, il les eût encore une fois démontés, transportés et reconstruits sur le Lac-Supérieur, ou bien il aurait imaginé de nouveaux bateaux plats mus par la vapeur. La digue qui sépare les deux lacs et joint Mantoue à la citadelle eût été rompue à coups de canon : alors, maîtres comme nous l’étions des eaux du Mincio, nous pouvions produire une de ces formidables inondations qui forcent une place à capituler presque sans pouvoir se défendre. De pareils combats n’eussent pu être livrés sans entraîner la destruction d’un ou plusieurs bâtimens de la flottille. Quoi qu’il en soit, l’industrie avait tenu sa promesse, et bien peu de jours avant l’armistice, la première des cinq batteries blindées se trouvait à Gênes, chargée sur des wagons, prête à marcher au premier signal. C’était un renfort de dix canons, augmenté encore d’un radeau portant deux pièces rayées en construction à Desenzano, et que les chaloupes eussent remorqué au feu.

Telle était la magnifique et glorieuse mission confiée à l’énergie et au courage des marins français. Personne ne doutera, je l’espère, que devant une telle accumulation de forces sur le côté faible des deux places de Peschiera et de Mantoue, elles ne fussent tombées au pouvoir des alliés, si admirablement secondés par eau. Aucune marine, je crois, ne peut trouver dans ses annales l’exemple de tant d’obstacles vaincus en si peu de temps par une poignée d’hommes. Il faut remonter jusqu’à Mahomet II pour trouver trace d’une entreprise de ce genre dans l’histoire. Encore, pour prendre Constantinople, Mahomet II n’eut-il qu’à transporter pendant une demi-lieue, de Soliman-Batchi au fond de la Corne-d’Or, de très petites barques, et il dut y employer toute son innombrable armée. Les Vénitiens aussi, au temps de leur splendeur, construisirent des galères (les canonnières de l’époque) sur ce même lac ; mais ce fut en pleine paix, sans but déterminé, et avec des bois venus, par le flottage, du Pô dans le Mincio.

Ce transport par terre de notre flottille si heureusement accompli révèle dès à présent le rôle que jouera désormais la marine française dans les guerres continentales. Rien n’est plus facile en effet que de