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entreprise sur la plage de Desenzano, disaient : « Ils n’arriveront pas à temps ; nous prendrons la ville sans les marins ! » Au premier abord, ils semblaient avoir raison, surtout si l’on songe que pour chaque canonnière il y avait un travail spécial à terminer rapidement, et dont voici les détails : cinq mille trous à percer, autant de chevilles à y enfoncer, puis à river, pour ajuster entre elles des pièces de bois que la chaleur avait fait travailler. Un calfatage complet était nécessaire en dehors, en dedans,-et sur le pont. Enfin les opérations du lancement, du montage des machines et de l’armement employaient bien du temps. L’expérience prouva heureusement que chaque chaloupe pouvait, en moins de dix jours, avec un personnel de cent cinquante ouvriers de toutes les professions, être prête à faire feu. Certainement elles n’eussent pas été entièrement finies, elles eussent même été à peu près incapables de naviguer longtemps ainsi ; mais, pour se battre quelques jours, il suffisait de la coque avec sa machine, du masque avec ses plaques, du canon avec sa plate-forme. On n’avait pas non plus assez d’ouvriers venus de France pour pousser simultanément la construction des cinq bâtimens ; mais ni Milan, ni Gênes, ni Toulon n’étaient bien loin, et en présence d’une nécessité aussi impérieuse que la prise de Peschiera, de cette place regardée comme la tête des écluses du Mincio et la clé de Mantoue, on n’eût hésité devant aucun sacrifice d’hommes ou d’argent. La construction commença le 3 juillet ; tout pouvait donc être terminé bien avant le 15. Or, au moment de l’armistice, c’est-à-dire le 8, les Français et les Piémontais commençaient seulement à recevoir leur matériel de siège et à creuser les tranchées. Il leur était donc impossible, en cinq ou six jours, de prendre la place, et par suite la flottille devait se trouver prête bien avant même qu’on eût commencé les grands travaux du siège.

Quant à l’utilité de ce renfort, elle était incontestable. Nous ne pouvions, sous aucun prétexte, laisser les Autrichiens maîtres du lac : sans cesse ils auraient inquiété les nombreuses villes du littoral, ou débarqué des troupes sur nos derrières. Il fallait aussi compléter le blocus de Peschiera. Les chaloupes canonnières devaient donc couler ou forcer de se réfugier dans les ports de la confédération helvétique les rares bateaux à vapeur en fer et à roues et les barques à voiles et à rames, que l’ennemi possédait encore. Notre feu prenait à revers tous les forts détachés qui entourent la partie de la ville construite sur la rive droite du Mincio. Le service des pièces et l’approvisionnement de cette ceinture par le corps de la place devenait, sinon impossible, du moins fort difficile. Les chaloupes devaient, à un moment donné, par une nuit noire, lorsque les approches eussent été terminées, lorsque l’assaut eût été résolu, embarquer à